L'anecdote n'a pas l'air comme ça, mais elle va dans le sens de tout ce que je vous raconte en ce moment.
 
A l'occasion du 2e module des poussins n°3, j'ai fait intervenir Laetitia Ruzzene pour faire une présentation théorique et une démonstration, sur une 1/2 journée. Ca me paraît essentiel qu'une formation intitulée "Ergonomie de l'équitation - spécialité selle" comporte un topo sur l'autre activité de fitting équestre, à savoir le réglage des filets et des embouchures.

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Ergonome équestre et analyste spécialisé en embouchures et briderie (bit fitting) a Toulouse, Occitanie, France. L'ergonomie équestre à votre service.

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J'ai rencontré Laetitia en 2016, quand elle m'a appelée pour seller un cheval compliqué qu'elle montait en DP. On a sympathisé, et elle m'a expliqué qu'elle-même était dans cette démarche de sellerie ergonomique mais pour des jets privés et les sièges de navettes spatiales (Toulouse oblige), et qu'elle aimerait bien ramener ça au cheval mais plutôt côté briderie. Elle s'est donc formée, avec moi qui la poussais au cul de façon très enthousiaste, avec la Neue Schule Academy, et elle s'est lancée dans le grand bain en début d'année 2019.
 

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Mon welsh cob déteste le goût des embouchures avec du cuivre. Il n'a aucun problème avec les mors en inox, qu'il prend volontiers, mais dès que c'est du cuivre il refuse d'ouvrir la bouche. En revanche, c'est un mors composé de cuivre qui lui donne le meilleur contact, de tout ce que j'ai essayé. Tous les cavaliers qui ont monté un welsh cob un jour le savent : le problème de ces poneys, c'est qu'ils ont rapidement tendance à passer derrière la main et à lâcher le dos - donc à lâcher le cavalier. J'étais dans une bonne impasse, et je savais que Laetitia pouvait m'aider. Donc comme je l'avais sous la main pour ma formation, j'en ai profité, héhé. J'ai toujours rêvé de vivre "l'effet wow" que je peux parfois générer pendant des effets de selles, le truc où on s'abandonne aux mains du pro qui sait précisément ce qu'il faut pour que ça fonctionne bien, et que tout un coup, le cavalier sait pas pourquoi mais le pro, lui, oui, Pompon devient Valegro. Et pour être honnête, je ne l'ai jamais vécu, parce que quand j'essaie moi-même des selles, je garde toujours le contrôle sur ce que je fais donc je ne m'abandonne pas. Impossible d'être juge et partie.
 
Laetitia nous explique que Billy a un palais plat et une grosse langue, donc que le mors que j'utilisais mettait trop de contact sur le centre de la langue et comprimait les côtés : il serait mieux avec une forme plus arquée. On fait le test avec son mors, et le poney est comme d'hab : j'ai l'impression de faire du serpent plutôt que du cheval, et je suis tout le temps en train de canaliser et de lui demander de se tenir.
Puis on change de mors. Je fais trois pas, et là WOWW !! d'où il sait prendre le contact comme ça lui??? je fais trois cercles, deux transitions, je vois la tronche de mon public qu'a la mâchoire par terre, ma coach qui jubile et Laetitia, pas encore très convaincue. Effectivement, c'est mieux dans le sens de contact, l'amplitude des foulées s'est carrément améliorée, mais ça reste un peu plat.
Laeti me propose donc un troisième mors, sans brisure du tout, qui correspond à mon équitation où j'emploie peu d'effets de main. Là, je me dis "allez, je vais pas me faire avoir, je sais qu'il peut prendre le contact" ; sauf que si, je me suis faite eue. Non seulement le contact était encore incroyablement franc et égal, mais en plus le garrot est monté de 5cm en 3 foulées de pas, et qu'il est resté là tout seul sans que je lui demande. J'avais l'impression de monter un cheval qui avait déjà eu toute sa détente aux Impromove! Bon, clairement, il a galéré à combiner ça avec tout le reste, ça a stimulé des zones qui ne bossent habituellement pas chez lui, donc il va falloir prévoir un temps d'adaptation physique - mais c'est normal, quand on utilise un objet ou un procédé qui change tout le schéma corporel de façon aussi radicale. Mais autant vous dire que Sandrine (la pro qui m'encadre dans le travail de mes chevaux) sautait partout, et que toutes mes élèves, rôties après une semaine intense, avaient les yeux qui brillaient.
Bref, tout ça pour vous dire : quand j'ai dessellé mon poney, je lui ai vu un dos et une posture qui sont ceux que je cherche habituellement, et que je n'obtiens que si j'ai fait une séance extraordinaire. J'ai essayé quantité de selles avec divers effets, testé un nombre de réglages incalculables, et force m'a été de constater que parfois, ce qui règle le dos du cheval, ce n'est pas la selle. On a beau le savoir, l'avoir vu sur des chevaux de clients (puisque Laetitia et moi travaillons ensemble depuis un an, on a pu croiser nombre de constats), il faut le sentir soi-même pour le comprendre vraiment.
La conclusion de l'histoire, c'est qu'il est impensable de travailler correctement en ergonomie équine sans prendre en compte la nécessaire complémentarité de la selle et de la bride. On s'est mis d'accord avec Laetitia : la selle doit être faite en premier, car c'est elle qui peut engendrer le plus de dommages, et le cavalier ne peut pas avoir une bonne main s'il n'est pas bien assis au préalable. Mais on n'aura jamais la totalité de ce que le cheval et le cavalier peuvent faire si on ne va pas jusqu'au bout de la démarche.
Et c'est encore une constituante de l'ADN d'Ergonomie Equestre... 
Et maintenant, moi je dois attendre mon embouchure depuis l'Afrique du Sud :-(