
Bon, je vais pas réécrire mon blog, je me bornerai donc à simplifier ce qu'on attend d'une selle ainsi : elle doit répartir le poids du cavalier sur une zone déterminée par la conformation du dos du cheval, et permettre au cavalier de conserver un équilibre bipède sur le corps quadrupède d'un animal se mouvant à trois allures différentes ponctuées potentiellement de gestes aléatoires. Elle doit donc répondre, par le choix de sa forme et de ses matériaux, à un paradoxe qui est d'être mobile pour accompagner les mouvements de l'animal et fixe pour stabiliser l'humain, tout en permettant un contact sensoriel extrêmement proche entre les deux individus. Un bon gros challenge de conception, en somme.
La sellerie est une activité traditionnelle, pratiquée depuis des millénaires (oui oui), et les contraintes ergonomiques n'ont que peu évolué. Ce qui a changé, ce sont les usages, depuis l'apparition de l'équitation de loisir et de sport qui supplante l'équitation de guerre ou de travail (enfin, cette dernière existe encore, et possède sa propre sellerie : c'est ainsi que les selles portugaises, par exemple, sont très très proches des selles à piquer du XVIe siècle). A l'instar de sa discipline-mère, l'équitation, la sellerie équestre actuelle est donc l'héritage d'une longue tradition et de transmissions séculaires. Ce sont à la fois autant de richesses à préserver que de vieilles chouettes à dépoussiérer, d'acquis de bon sens empirique que de préjugés sclérosants et sclérosés.
Le défi qui se pose donc au sellier d'aujourd'hui est donc de conserver les bons acquis et de se débarrasser des pratiques datées.
La tentation est grande de vouloir s'inspirer des matériaux utilisés dans d'autres domaines de la conception. Ainsi, il n'est pas rare de faire appel à l'argument que ce matériau X est employé avec succès dans les technologies aérospatiales ; mais à bien y réfléchir, cela ne me semble pas particulièrement juste ni adapté. Les forces, pressions et torsions qui s'appliquent aux corps sont bien moindres dans la pratique équestre, mais aussi beaucoup plus changeantes et dynamiques dans un laps de temps donné - je remercie d'ailleurs ma collègue bit-fitter Laetitia Ruzzene pour tous ses éclaircissements sur le sujet, elle qui dans sa précédente vie professionnelle a étudié l'ergonomie pour fabriquer, entre autres, des sièges de navettes spatiales. Et puis les matériaux dits de haute technologie posent un problème fondamental, notamment pour le carbone et ses composés : leur mise au point est très polluante, et on ne sait aujourd'hui pas comment les recycler...
De même, l'emploi de certains matériaux à hautes propriétés dynamiques produisent parfois des effets contraires à ceux que l'on voudrait rechercher : les fabricants de raquettes de tennis, par exemple, ont bien compris l'importance de réduire les vibrations pour diminuer les effets néfastes sur les articulations du corps humain... Mais ils ont bien compris que le seul choix du matériau n'était pas suffisant : "comme une corde de guitare, le cordage entre en vibration après avoir frappé la balle, ce qui engendre alors des ventres et des nœuds. Il faut faire coïncider le centre de percussion avec un nœud de vibration, sinon le joueur soumis à la vibration de la raquette risque le fameux « tennis elbow ». La position du centre de gravité, le poids, avec le meilleur compromis poids et rigidité de la raquette, la distribution des masses adaptée soit à la puissance soit à la précision sont les multiples paramètres à prendre en compte." (source) On se rend bien compte que le choix du matériau dans l'adaptation d'un outil technique est donc soumis avant toute chose à une analyse minutieuse de la façon dont le sportif utilise l'objet : dans le cas du tennisman, sont pris en compte la conformation du joueur, mais aussi l'angle de la frappe de balle, la puissance et la vitesse du mouvement, les effets de rotation plus ou moins prononcés selon le style de jeu. Et en fonction de ces différents paramètres, on privilégie tel ou tel matériau.
Et puis parfois, le plus simple et le plus traditionnel reste inégalé dans ses performances : les fabricants de ski s'accordent à dire que pour le coeur de la planche, le bois lamellé-collé donne les meilleurs résultats (ce même procédé qu'on utilise traditionnellement dans la fabrication d'arçons pour les selles) - d'ailleurs après avoir testé plusieurs autres matériaux plus high-tech, les fabricants semblent y revenir de façon assez unanime sans que j'ai pu réellement trouver d'explication. La comparaison entre l'arçon de la selle et le ski est je crois assez pertinent, dans la façon dont l'outil reçoit et distribue les pressions - peut-être un élément de réponse à creuser sur la raison pour laquelle les arçons bois subsistent encore et toujours, de même que les coeurs en lamellé-collé des skis.
Je crois aussi qu'il y a une grande part de ressenti à prendre en compte chez le sportif. Ce sont les matériaux et leurs dynamiques propres qui transmettent des informations sensitives cruciales, et qui vont au-delà de la simple observation, mesure ou quantification que peuvent faire les ergonomes du sport (rappel ONISEP : " [les ergonomes du sport] s’attachent à améliorer les équipements, notamment pour éviter ou réduire certaines pathologies, mais aussi améliorer la pratique. Contrairement aux ingénieurs qui travaillent rarement au contact des sportifs, les ergonomes partent de la manière dont le sportif (amateur ou professionnel) utilise son matériel pour comprendre comment ils peuvent l’améliorer.")
D'ailleurs, je pense qu'à lire cet extrait cité ci-dessus, vous aurez compris ce qu'est réellement le travail d'un saddle fitter / sellier : il observe le corps du cheval et du cavalier pour optimiser leur matériel ou les guider dans leurs choix, ni plus ni moins. Et le choix des matériaux ne sont qu'une toute petite composante du travail d'analyse des besoins ergonomiques du couple cheval / cavalier : il y a déjà tout le travail d'adéquation des formes à prendre en considération en premier lieu, c'est-à-dire ni plus ni moins que la prise de mesures et la recherche de modèles adaptés aux deux corps du cheval et du cavalier (sans même parler de confection d'une selle sur mesure).
Tout ça pour répondre à la question initiale : je pense que le choix des matériaux est important, mais qu'il convient déjà de savoir si leurs propriétés sont adaptées à la pratique visée. Comparer la façon dont se comporte une balle de bowling qui tombe sur de la mousse posée sur le sol aux impacts répétés du corps du cavalier sur le dos d'un cheval via un arçon garni de la dite mousse n'est pas pertinent, les forces ne s'exercent absolument pas de la même façon et les composantes dynamiques ne comportent pas du tout les mêmes paramètres. Et espérer qu'un matériau miracle remplace tout le travail d'analyse, de choix des dimensions et formes de l'objet et d'adaptation aux mesures non pas d'un, mais de deux individus - et d'espèces différentes qui plus est! - est purement utopique. Donc, ce qui prime avant tout, c'est la compétence de la personne qui équipe la couple cheval / cavalier ; parce qu'on peut avoir le meilleur design du monde et les meilleurs matériaux, si c'est utilisé à mauvais escient, le résultat sera juste moisi!
- 1 selle western californienne oldtimer arçon bois / cuir cousu, sans matelassures ni mouton côté cheval ou cavalier, datant au minimum d'avant les années '60 (1960 ou 1860, difficile à dire). C'est à la base une selle pour mules!
- 1 selle costaricaine arçon type macClellan en bois avec du cuir cousu autour (et à peu près rien d'autre), ramenée neuve de chez un petit artisan du Costa Rica sans connaissance de matériaux plus modernes.
- 1 selle à piquer, certes avec arçon certes synthétique mais rigide, et comme dit dans l'article, le concept global est trèèès ancien.
Keep it simple, et ayant un poney type rustique de race / sélection ancienne, forcément les anciens concepts et matériaux lui vont mieux, et toutes les nouveautés dernier cri lui posent problème à plein de niveau (forme, souplesse, allergies...).
D'autres peuvent-ils faire un lien en concept moderne / cheval 'moderne' et concept ancien / race ancienne? Matériaux seuls, conception dans son ensemble, ou dépend des races de chevaux?