Aujourd'hui, je donne la parole à Sophie, vétérinaire et cavalière.

Je "croise" Sophie virtuellement depuis de nombreuses années, et j'ai eu l'occasion de la rencontrer à l'occasion d'un stage que j'ai donné pour la Fédération Belge des Ostéopathes Animaliers en avril 2018. Je savais qu'elle rencontrait des problèmes de selles grâce aux réseaux sociaux, et elle m'a confirmé que ça continuait. Je lui ai suggéré une piste de réflexion, et un mois plus tard, j'ai reçu un message contenant ces mots : "tu avais raison". Ca, j'aime (en même temps, je connais pas grand monde qui aime à se tromper). Et donc j'ai demandé à Sophie de m'écrire un topo, pour pouvoir partager son expérience avec mes chers lecteurs.

"Tout a commencé en 2010, quand j’ai acheté une petit jument irish cob de 3ans, Willow. La première selle que je lui ai mise sur le dos était on ne plus inadaptée : une vieille selle de randonnée pour cheval de selle classique : très étroite et très longue. En gros, c’était suspendu devant et beaucoup trop long derrière, avec un gros pont au milieu. Bref : exit.

Ensuite, j’ai demandé conseil à une sellerie lambda, pas forcément au point, qui m’a vendu la Wintec Wide parce que, je cite, « Wintec va à tous les chevaux ». C’est là que la galère a vraiment commencé : persuadée que cette selle était « la bonne » puisque la sellerie était venue sur place l’essayer, j’ai passé des soirées entières par mail avec deux saddle-fitters, on a essayé tout ce qui était possible pour que cette selle convienne à ma jument (les cales devant, derrière, dans la selle, sous la selle, les changements de tapis,…), rien n’y faisait : ma jument gonflait systématiquement à hauteur des étrivières. Après un quart d’heure en selle ça commençait déjà, et plus je montais longtemps ou avec des allures, et plus la gonfle s’étendait. Ma jument ne semblait pas avoir mal, elle ne « disait » rien quand on appuyait sur la gonfle, m’enfin quand même... Jusqu’au jour où… Les poils sont tombés sous l'avant de la selle (pas à l'endroit de la gonfle) et il y avait une énorme zone autour où les poils étaient blancs à la base du poil. Donc arrêt de ma jument pendant 3-4 mois le temps que tout se répare, revente de la Wintec, décidément elle n’irait jamais.

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Ensuite, je me renseigne sur les selles pour « petits gros » et je tombe sur la marque Massimo (j’ai dû lire à peu près tout ce qui existait en français sur le saddle-fitting à ce moment-là, c’est-à-dire pas grand-chose en dehors du début de blog saddlefitting.fr et la multitude de posts sur différents forums, avec des idées bonnes et moins bonnes). Je prends les mesures de ma jument, je trouve une Massimo d’occasion pas trop loin de chez moi avec les bonnes mesures (je passe les moments de doute, de calcul de mon budget d’étudiante ; Le beau rêve de randonnée en tête à tête avec mon cheval en prend un coup). Essai de la selle Massimo : en statique ça a l’air de coller ! On essaye en promenade. C’est beaucoup mieux que la précédente, mais ça gonfle toujours un peu. L’amélioration est que cela ne gonfle plus qu’un peu, toujours au même endroit, mais ça ne s’étend plus et ça reste léger. J’en parle à mon vétérinaire de l’époque et à mes profs (je suis étudiante véto à ce moment-là) et on en arrive à la conclusion que les tissus peuvent avoir morflé un peu trop et que ça reste comme ça « ad vitam » à cause d’un tissu cicatriciel. Je chipote un peu avec des tapis Mattes, Haf, ça va-ça vient, par moment ça diminue puis tout à coup ça regonfle. Ça reste « raisonnable » mais moi ça m’embête quand même.

Comme ça continue toujours à gonfler un peu, je finis par faire venir un saddle-fitter (denrée rare par chez nous à ce moment-là). Selon lui, la selle Massimo est aux bonnes mesures et il n’y a rien à faire dessus pour la mettre mieux : c’est la bonne longueur, largeur, pas de pont,… En statique elle est OK. D’un côté ça me rassure, mais comme je ne suis pas satisfaite de la persistance de ces petites gonfles, je décide de tenter une autre selle avec laquelle je pourrais plus facilement modifier les réglages aux changements de saison. Je lui prends donc une selle mixte Thorowgood Cob (spécial « petits gros » : courte et plus aplatie pour mieux épouser les formes des chevaux table de jardin). Avec cette selle, on augmente encore d’un cran l’adaptation à mon cheval parce que là, elle ne gonfle vraiment presque plus. Quand je montre aux autres cavaliers du club les gonfles que je vois, il faut vraiment que je leur mette la main dessus pour qu’ils la sentent. Malheureusement « presque plus » ce n’est pas « plus ». De plus, je tombe enceinte à ce moment-là, ma jument devient une tondeuse de luxe pour une bonne année. Et quand je remonte un peu après cela, bim, regonfle ! A ce stade-là, les grands rêves de journées dans la forêt sont définitivement éteints, je ne monte presque plus (j’avoue que voir cette gonfle, si minime soit-elle, après chaque heure passée sur mon poney commence à me pourrir ma vie équestre). Et moins je monte et plus cette gonfle augmente à chaque séance.

Je finis par me rendre à un we de formation destinée aux saddle-fitter pro et ostéopathes à Paris, en touriste, mais je me dis que peut-être je trouverai une nouvelle piste. J’en discute avec plusieurs pro, je teste différents trucs à mon retour, je me rapproche de nouveau du Graal, ça ne gonfle de nouveau « presque plus » mais encore un peu. Je prends une prof de haut niveau (pour ma tondeuse de luxe obèse, je ne recule devant rien, pas envie d’en rajouter une couche avec des conseils pas toujours avisés), on se lance dans le dressage puisque jusqu’ici elle n’a fait que de l’extérieur, se muscler un peu ne peut pas faire de mal. Ça n’a pas porté ses fruits par manque d’assiduité (et de budget) de ma part.

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En avril 2018, je vais à un we de formation donné par Eugénie dans mon coin pour les ostéopathes. J’en discute avec elle : elle me dit que pour elle, la gonfle à cet endroit, c’est le cheval qui s’écrase sous la selle, qui ne se porte pas et ça provoque un pivot de la selle. Je suis d’accord avec cette approche, donc maintenant il faut vraiment prendre ce problème de gras-non musculature-non travail (dans l’ordre que vous voulez puisque les trois s’entrainent l’un l’autre, nous étions rentrées dans un cercle vicieux). Je demande à une autre participante de cette formation si elle veut bien travailler ma jument et me donner cours, histoire de donner un gros coup. Et là, miracle : ma jument reste grosse mais elle a fondu, le dos est remonté, la selle est venue se caler sur un dos qui tient et plus de gonfle au travail ! J’ai terminé de parachever l’adaptation de la selle par un sanglage bas avec une sangle courte déportée et un tapis Mattes avec correcteur pour relever légèrement l’avant. Seul petit bémol : effectivement maintenant un peu de tissu cicatriciel s’est formé, on sent un tissu un peu induré même au repos. Cela ne sera plus jamais «100% normal ». Cependant, je sens cette différence de tissus mais quand je demande aux autres de toucher et de me dire ce qu’ils en pensent, pour eux c’est extrêmement minime. Actuellement (5 mois après le début du travail intense), je peux remonter avec plaisir, et j’ai même participé à un TREC début septembre, deux jours de suite, sans gonfle particulière."

Voilà. Le problème que Sophie a rencontré, c'est un problème que je rencontre souvent chez nombre de cavaliers, amateurs comme professionnels : c'est un manque de compréhension de ce que suppose l'équitation comme effort physique de la part du cheval, de connaissances sur une bonne préparation physique à l'effort, et de compréhension des conséquences. Il y a aussi - surtout - la peur de trop demander, la peur d'abuser, la peur de faire mal. La selle peut créer des maux, mais souvent les maux qu'elle cause sont plutôt des conséquences - surtout dans un cas comme celui de Sophie, qui a entouré Willow du soin de nombreux professionnels. 

N'oublions pas que les exercices de dressage, les gymnastiques de cavaletti, le terrain varié ne sont pas des finalités en soi, mais plutôt des outils - de même que l'échelle de progression classique. Il est inutile de s'écharper sur la pertinence de ces moyens et sur l'ordre dans lequel les employer, car ils sont complémentaires et à utiliser différemment en fonction des chevaux, des cavaliers et des objectifs : ce sont des bases, tout comme la grammaire et l'orthographe sont la base d'une langue, ou le solfège et l'harmonie la base de la musique. Rares sont les personnes et les chevaux tellement doués qu'ils peuvent s'en passer. 

Et le cheval qui monte le dos pour porter son cavalier, c'est la base de la base. Un cheval qui ne porte pas naturellement doit apprendre à porter, sinon ne devrait pas être monté. Méga big-up en passant aux cavaliers du centre équestre de Castres, où pour la première fois de ma vie, j'ai entendu une jeune fille de 12 ou 13 ans m'expliquer que sa selle ne convenait probablement pas à son cheval "parce qu'il ne peut pas monter le garrot quand je lui demande". Félicitations absolues aux enseignants. J'en suis encore sur le cul.

Pour en savoir plus sur les gonfles, vous pouvez vous reporter à mon article écrit pour Cavalassur sur le sujet

Et sinon, passez un bon dimanche et à bientôt!