[traduction de la newsletter de la Society of Master Saddlers - reconnue internationalement comme l'une des principales autorités en matière d'adaptation de la selle au niveau mondial - du 15/12/2015]

Alors voilà. Un jour on nous disait que la Terre était plate, et le lendemain on nous apprend que la Terre est ronde.

Lisez plutôt ce papier, écrit par Kay Hastilow, qui au sein de la SMS et dans les milieux selliers internationaux fait figure de référence. Elle y admet après moult arguties le point que s'acharne à faire reconnaître Gene Freeze, patron de et designer de selles pour County Saddlery (une pointure internationale de la selle conçue pour la performance et le haut niveau).

"Ceux qui adaptent des selles depuis un bail maintenant savent que rien ne reste figé. Des solutions utilisées pendant de longues années se retrouvent dépassées par de nouvelles connaisances, ou tout simplement ne fonctionnent plus à cause de l'évolution permanente de la conformation du cheval de selle lambda.

zone appui

A gauche, l'arçon tel qu'on veut qu'il porte sur le dos ; à droite, l'arçon habillé et pourvu de matelassures...

Pendant ces plus ou moins 45 ans que j'ai passés à adapter les selles des chevaux, la zone "T18 / dernière côte" a toujours été admise comme le point d'appui le plus reculé possible pour la selle. La raison en est que la cage thoracique joue le rôle de support de la selle, et que le dos est bien plus faible passé ce point limite. Il était plutôt rare, à l'époque, de trouver des chevaux avec un dos si court qu'il en devenait impossible de trouver une selle qui accommode également le cavalier. Et si on tombait sur un cas, c'était probablement un pur-sang arabe ou demi-sang arabe, et pour une raison ignorée de tous, qui étaient affublés de cavaliers un peu trop "potelés" pour eux.

Comme les choses changent! Regardez les photos des chevaux utilisés à l'époque de la Première Guerre Mondiale : leurs dos étaient bien plus longs que ceux des chevaux actuels. Ils étaient d'ailleurs équipés de sellles pourvues d'extensions d'arçons et de panneaux à l'arrière, bien plus longues que tout ce qu'on peut utiliser aujourd'hui. N'importe qui ayant déjà vu une selle datant de cette époque comprendra à quoi je fais référence, d'autant plus si cette même personne a essayé d'utiliser ce genre de selle sur un cheval moderne - quelle que soit sa race. Il est probable que la selle en question pose jusqu'à la croupe sur la plupart de nos chevaux d'aujourd'hui.

Un dos court est, de façon certaine et récurrente, considéré comme un critère de bonne conformation ; alors qu'un dos long n'est pas bon signe. D'un point de vue mécanique, vous savez pourquoi : les dos courts sont nécessairement plus forts que les dos longs ; mais point trop n'en faut. Or, dans les dernières décennies, les dos de nos chevaux modernes - quelle qu'en soit la race - se sont raccourcis de façon exagérée, de sorte que la surface d'appui disponible pour une selle est considérablement réduite. Ajoutons à ce phénomène le constat que nos cavaliers sont, quant à eux, de plus en plus potelés, et vous comprendrez bien le challenge auquel se retrouve confronté n'importe quel sellier ou saddle fitter.

Dans ce genre de cas, il a donc été communément admis par la profession que la solution à employer était d'augmenter la taille du siège, que ce soit en largeur ou en longueur, afin de pouvoir caser le cavalier ; ou bien encore de conserver un siège un peu petit mais d'allonger la taille ou la projection des quartiers de la selle, ce qui peut être parfois utile. 

Cependant, il est apparu récemment que même ces solutions ne suffisaient plus à répondre aux problèmes de compatibilité, et il a bien fallu se confronter de nouveau au problème de la longueur de la selle, et de son appui caudal. De toute évidence, il est impossible de remettre en question le fait que les lombaires ne peuvent supporter le poids du cavalier ; mais, quand vous regardez plus spécifiquement la longueur des panneaux en relation avec l'arçon de la selle, et l'endroit précis où l'arçon ne reporte plus le poids du cavalier (soit à la jonction du siège et du troussequin), il devient tant évident qu'admissible que - dans la mesure où la zone de l'arçon transférant le poids du cavalier ne dépasse pas la dernière côte - il est possible que les panneaux de la selle dépassent cette limite sacrée de T18 et se retrouvent autour de la première lombaire (L1) sans pour autant mettre en péril la santé ou le fonctionnement du cheval au travail.

Les professionnels qui exercent depuis un certain nombre d'années se souviendront avec émotion de l'époque où la question de la largeur d'appui des panneaux était devenu d'une importance vitale, à tel point qu'on se retrouvait avec des selles dont les matelassures dépassaient l'arçon de plus de 3 cm de chaque côté - et qu'en résultat, comme les panneaux excédentaires ne servaient à rien car ne recevant aucun poids, ils se retrouvaient à flotter dans le vide et à se déformer. Dans certains cas, c'était tellement extrême qu'on aurait dit que le siège de la selle flottait au milieu d'un gros cheesecake [dans la version originale c'est "Yorkshire Pudding" le terme employé, mais je ne sais pas si l'image parle à tout le monde - NDT.]

Avec nos selles modernes, il peut être utile de relever un peu l'arrière des matelassures afin d'avancer le point d'appui sur le dos du cheval (et que celui-ci ne se retrouve pas pile sous le troussequin). Mais ce qui est réellement essentiel, c'est de voir le cheval monté, car il n'est pas rare que lorsque celui-ci s'emploie à porter son cavalier, son dos s'étire et sa surface d'appui s'allonge ; et ainsi, une selle statiquement trop longue devient dynamiquement acceptable. Quel que soit le professionnel, il ne doit en aucun cas condamner la selle simplement posée sur le cheval, car il pourrait se planter gravement (d'autant plus si ce n'est pas lui qui l'a adaptée en premier chef!)

Désormais, partant du principe que la selle est adaptée et équilibrée correctement pour la pratique de l'équitation, nous [la SMS] conseillerons et enseignerons la chose suivante : c'est la zone portante de l'arçon qui ne doit pas dépasser la dernière côte et la T18, et les panneaux de la selle quant à eux ne devront idéalement pas dépasser la première lombaire L1.

Kay Hastilow, 2015

***

Voilà l'un des premiers enseignements reçus aux USA : regarder l'arçon, car c'est lui qui importe - et à bas les raccourcis !