J'ai hésité avant d'écrire cet article, mais il fallait que ce soit dit.
Les Schtroumpfs-à-lunettes sur les réseaux sociaux, ça m'agace. Parfois avec tendresse, parfois avec le parpaing qui me démange. Ca peut être mignon ; mais quand ces pseudo- bribes de sagesse, qui relèvent souvent plus de la philosophie de comptoir que du contact avec la réalité, deviennent injonctives, ça craint. La Rochefoucault sans le style ni le talent.
J'ai assisté récemment à une discussion, où s'opposait deux camps : ceux qui trouvaient précisément qu'Internet était un outil de connaissance fabuleux, où l'on pouvait avoir accès aux cours de spécialistes à l'autre bout du monde sans bouger de chez soi et que c'était sans nul doute la source de vrais progrès à venir ; et d'autres qui soutenaient que ce qui rendait beau la connaissance, c'était le parcours d'acquisition, l'expérience de l'effort, des montagnes russes entre frustration et réussite - et la capacité, ainsi, à aller au bout des choses et à les faire siennes, vraiment. Les deux idées sont intéressantes et complémentaires, mais je pense sans la dimension humaine de la deuxième idée, la première ne vaut rien.
L'équitation est une affaire de sensations, de style, d'émotions. De sueur qui coule, de poussière soulevée, de chutes plus ou moins douloureuses, de figures répétées inlassablement, de remise en question permanente, de pleurs de fatigue ; de grands galops dont le vent fait siffler les oreilles, de sauts où on se sent voler, de quatre foulées d'épaule en dedans parfaites qu'on passe sa vie à rechercher ensuite, de connexion totale au vivant et à la liberté, de joie absolue. J'ai du mal à comprendre pourquoi le Web équestre est parfois tellement dur, alors qu'on est tous dans la même galère, pour le meilleur et pour le pire, et qu'on a tous bien conscience qu'on n'apprendra jamais à monter à cheval dans des livres ou sur le Net, mais seulement en se confrontant au vivant et au réel. Le détachement, qui serait tellement salutaire, n'est pourtant pas de mise dans ce milieu de fous, on se déchire entre pro- et anti- quelle que soit l'origine de la discorde. L'amour du cheval, qui nous a tous amenés là en première instance, devient destructeur. Les fanatiques de l'équitation sont aussi intelligents que des supporters de foot hardcore.
Et comme pour les supporters de foot, les plus forts à ce petit jeu sont souvent les champions de canapé. Ils ont parfois, un jour, réussi à faire un truc avec un cheval (il y a environ 1500 ans) (mais y avait pas de témoins) et ils se permettent depuis d'émettre des jugements lapidaires à tout va. Jamais rien de positif ne sort de leur bouche, ils ne sont que critiques et dénigrements. Ces grands pontes de l'orthodoxie équestre, ces défenseurs acharnés de la tradition, ces ayatollahs du bien-être du cheval donnent de grandes leçons à coups de phrases pompeuses et de formules qui claquent, et s'opposent vigoureusement à tout ce qui ne leur plaît pas. Hors de leurs croyances, point de salut. Cependant, je n'ai pas la sensation que ces gens font l'effort d'aller sur le terrain pour rencontrer les personnes ou les méthodes qu'ils dézinguent. Je n'ai pas la sensation qu'ils font l'effort d'aller s'occuper de leurs chevaux, ou de les entraîner convenablement. D'aucuns le disent, ce sont ceux qui en parlent le plus qui en font le moins!
Mais le problème est que souvent, pour ceux qui ne font pas que du canapé, ces façons de faire génèrent des paralysies plus ou moins importantes vis-à-vis de leurs chevaux. Ca arrive aux amateurs, et aux pros aussi. Des gens qui fut un temps étaient de merveilleux cavaliers, et qui se retrouvent incapables de faire quoi que ce soit. Parfois à cause d'internautes malveillants, parfois à cause de juges à la con, parfois à cause d'une mauvaise chute - mais aussi pour une raison plus grave. Certains enseignants sont dans la culpabilisation permanente de leurs élèves : dès que l'élève fait une faute de main : cri étranglé, une faute d'assiette : les yeux au ciel, une mauvaise foulée : le visage enfoui dans les mains... et comme l'élève ne progresse pas, "il est quand même pas doué, le pauvre..." Mais l'élève reste et s'accroche, par la grâce d'un mécanisme psychologique étrange qui fait qu'il voit son bourreau avec les yeux de l'admiration la plus masochiste qui soit. Le syndrome de Stockholm revisité, la femme battue défendant bec et ongles son mari alcoolique et violent.
La méthode unique est une utopie ; ceux qui s'en disent dépositaires sont dans le cas le moins grave des charlatans, au pire des gourous. Ils oublient que les gens montent à cheval par amour et pour le plaisir. Ils oublient surtout ce qui fait la beauté de la quête de la connaissance et de la maîtrise. Le droit d'essayer, le droit de se tromper, le droit d'apprendre, le droit d'en chier. Le droit de se faire mal, et de faire mal au cheval aussi. Ce qui compte, c'est de réaliser et de rectifier. Et de comprendre qu'on a aussi le droit de rire, le droit de s'amuser, le droit de réussir, le droit d'avancer, le droit d'avoir des ambitions, le droit de rêver.
Combien de fois j'ai vu des clients horrifiés parce qu'ils avaient monté des années durant avec une selle inadaptée? Oui, certains chevaux en seront parfois marqués à vie. Oui, d'autres s'en foutent royalement d'avoir une selle pas franchement adaptée. Dans un cas comme dans l'autre, la culpabilité ne sert à rien. Bravo d'avoir fait la démarche pour changer, c'est tout. Maintenant, monte sur ton cheval et fais ce que tu as à faire. Ne monte pas si tu n'as pas envie.
Un jour, alors que j'avais envie de tout arrêter tellement je me sentais nulle, une amie cavalière m'a dit ces mots tous simples et tellement libérateurs : "c'est pas grave". Et c'est vrai. Depuis, ça va mieux ;-)