Source: Externe

Cher lecteur, cher cavalier,

Laisse-moi te raconter une petite histoire

J'ai acheté en 2009 un poney, plus proche de Nikki de St Phalle que de Modigliani dans sa conformation. Comme j'ai voulu faire les choses bien, je suis allée voir des selliers "sur mesure", à l'occasion de divers salons et foires. On m'a répondu "mais oui on fait du sur mesure, même directement au salon" et "nos selles vont à 90% des chevaux". J'ai dit "arrêtez un peu le foutage de gueule", et j'ai décidé de me bouger pour trouver moi-même la solution, puisque les professionnels ne m'en semblaient pas capables.
8 ans plus tard, les recherches d'une cavalière lambda ont abouti à ce blog, le poney a ses selles sur mesures, et moi je passe ma vie à chercher des solutions pour les cavaliers qui vivent ce que j'ai vécu autrefois.

Franchement, j'aime mon métier et tous les matins, je suis heureuse de me lever pour bosser. Mais au fil des années, j'ai aussi compris pourquoi parfois, les professionnels prennent les clients pour des cons. Certains se prennent pour les rois du monde et estiment que tout leur est dû. Parce qu'ils nous font l'Hônneur de nous acheter quelque chose à nous et pas à quelqu'un d'autre, ils se permettent de manquer aux règles de la politesse et du respect les plus élémentaires. Pour illustrer mon propos, je vous propose ce petit florilège amusant. 

Le retournement de situation

Une dame doit faire modifier sa selle depuis plusieurs mois, mais elle est injoignable. Le sellier la relance plusieurs fois puis finit par lâcher l'affaire et l'en informer. Réponse immédiate : "Je suis un peu choquée de votre réponse alors que je n'ai pas eu de nouvelles pendant plusieurs mois ; si c'est comme ça que vous traitez les clients quand ils ont acheté une selle, vous risquez d'avoir des problèmes car le bouche à oreilles marche dans les 2 sens!"

What the... ?

Celui qui insiste pour qu'on soit bien sûr d'avoir bien compris qu'il ne voulait pas de nous

Un type veut essayer une selle, rencontre le directeur à un concours le dimanche, est renvoyé vers un distributeur local, lequel n'avait pas à l'essai le modèle souhaité.
Message du lundi (le lendemain, donc) : "Je suis outré qu’une société qui vend des produits de ce prix ne puisse pas honorer ses engagements. DONC J’ATTENDS UNE REPONSE : JE FAIS COMMENT??? Sans réponse de votre part, j’achèterai chez XXX car je peux vous avouer que c’est une société beaucoup plus sérieuse que la vôtre. Je ne manquerais pas non plus de vous faire une très mauvaise publicité."
Réponse du directeur, le mardi : "Nous ne pensions pas que votre demande était aussi urgente. Je vous demande de nous pardonner pour cette attente. L'essai de cette selle, si le distributeur ne l'a pas en stock, suppose un envoi depuis la maison mère vers le distributeur, et une prise de rendez-vous entre vous et lui selon vos disponibilités. Dans le cas où la société XXX vous a fait essayer ses produits avant nous, et que vous en avez été satisfait, étant donné l'urgence de votre recherche, nous vous invitons à investir dans leur produit car nous ne serons pas aussi rapides. Restant à votre disposition,"
Réponse du type, deux jours plus tard : "Je vous demande d’annuler toute démarche, si tant est que vous ayez deja eu la volonté d’en entreprendre une. Votre société étant complètement inefficace commercialement parlant, je ne veux plus entendre parler de la marque et ne manquerai pas d’en faire part si mon entourage me demande ce que je pense de celle-ci."
Re-mail du type, 15 jours après : "Vous n'avez manifestement pas lu mon dernier message. Eu égard à ce que vous m'avez écrit, je vous confirme que vous avez usé toute source de patience et que je ne souhaite pas confirmer avec vous". 

Y a vraiment des gens qui s'ennuient.

 

La blogueuse

Une dame achète une selle et la fait contrôler un an plus tard. Le sellier lui annonce que sa monture ayant changé, la selle doit être réadaptée en atelier - normal, quoi. Mécontente d'avoir à assumer les modifications, elle s'en plaint auprès de la marque : "J'attends une réponse de votre part et me verrais dans l'obligation de communiquer auprès des médias (c'est un peu mon métier) si je n'avais pas de réponse rapidement pour expliquer et communiquer sur vos pratiques . Ma fille a également posté un message sur twitter hier au soir mais pas de réponse... [...] ma fille est blogueuse "équitation" et a été invitée au salon du cheval de Paris!"

Le gros avantage d'Internet, c'est que ça ouvre la liberté d'expression. Le problème d'Internet, c'est que tout le monde peut l'ouvrir...

Le Christine Boutin-like

Une jeune fille achète une selle d'occasion à un particulier. Elle fait appel à la marque pour faire réadapter la selle à sa monture. Le SAV de la marque cafouille un peu (OK ça peut arriver) mais elle le vit mal, et ça part dans les tours au point d'arriver à cette phrase magique dont j'ai ri à n'en plus finir : "Vous êtes une marque de luxe? empreinte d'humanité en plus? Il est donc bien vrai que le luxe se prostitue et l'humanité va mal!!!"

Là, j'avoue, j'ai zéro commentaire tellement j'en ris quand je lis ça. C'est ridicule. 

Et j'en passe des dizaines et des dizaines comme ça, que mes collègues, confrères ou amis m'ont raconté, qu'ils soient ostéopathes, enseignants, commerçants, saddle fitters, commerciaux en sellerie, maréchaux ferrants, pareurs, vétérinaires (eux je crois qu'ils ont la palme quand même, mon véto m'a fait hurler la dernière fois avec une anecdote de psychopathe). 

Au-delà de ma petite satisfaction à faire la langue de vipère et balancer des cinglés au vu et au su de tout le monde, on peut quand même se demander dans quelle société on vit. J'ai lu l'autre jour une anecdote, rien à voir avec les poneys, d'un type aux USA qui a porté plainte contre lui-même parce qu'il s'est assommé avec le boomerang qu'il avait lui-même lancé. Le jugement s'est prononcé en faveur de sa propre partie plaignante, condamnant sa propre partie défenderesse à faire valoir son assurance. Il s'est auto-versé 300 000$. Les Américains sont clairement excessifs (même s'ils ont des trucs fantastiques, comme HBO, le cheesecake, et George Morris) ; mais je crois qu'on a aussi notre dose de tarés en Europe, et qu'on s'américanise un peu trop parfois.

Je me demande s'il y a des professions qui protègent des clients idiots. Perso, je pense que les coiffeurs sont en bonne position. Perso je préfère me raser la tête parce qu'on a loupé ma coupe, une fois rentrée à la maison, que d'oser dire que je trouve que c'est raté. En même temps, regarde : t'es assis en face d'un miroir, enroulé dans une camisole de convenance, et le type a à la fois des ciseaux et des rasoirs dans les poches, à moins de 50 cm de ta carotide. Terrifiant... 
Mais quand on est professionnel dans le milieu hippique, beaucoup de personnes attendent de nous la lune. Alors qu'on parle d'un animal certes adorable et pourvoyeur de sensations fortes, mais qui est aussi potentiellement du bifteck et une bénédiction pour les gestionnaires du surendettement... Pour 80% des gens, c'est juste un loisir, et pour autant la pression exercée sur les professionnels du secteur est hyper forte (sans parler des questions de TVA, de suppressions d'aides, etc). Quand on n'a ni les moyens financiers, temporels et techniques de ses prétentions ni l'humilité de le reconnaître, on n'est pourtant pas en mesure de mettre la pression. Ca a traîné pendant des années l'image d'un sport de riches, mais guess what : ça l'est! Comme disait Tartignolle plus haut, on parle de luxe ici... 

La difficulté réside donc dans la conjuguaison d'une posture professionnelle détachée et d'un milieu passionnel (passionnant, passionné) où tout est dirigé par des questions d'images et d'egos. C'est un milieu extrêmement difficile professionnellement, d'où l'immense turnover : beaucoup de gens arrêtent très rapidement leur activité professionnelle dans le milieu, ou, s'ils continuent, perdent le goût de monter. Je connais énormément de pros qui ont fini par revendre leur cheval, écoeuré, et n'ont continué que parce qu'ils ne savaient rien faire d'autre.
Comment, dans ces cas de figure, réussir à garder fraîcheur et enthousiasme? Comment faire comprendre aux clients qu'en tant que pros, on est là pour les aider certes, mais aussi pour gagner notre vie? Et ça n'est pas pour autant qu'on doit être traité de prostitués (et d'ailleurs, je trouve ça extrêmement désobligeant à l'égard de ces personnes dont on utilise la profession comme une insulte, enfin je vous épargne le discours féministe mais je n'en pense pas moins). Je veux dire, le respect c'est quand même la moindre des choses. Respectez les gens qui mettent à votre service leurs capacités, aussi limitées soient-elles - personne n'a d'obligation de résultats, seulement des obligations de moyens.
Libre à vous de juger que tous les moyens ne sont pas mis en oeuvre, mais encore faut-il le prouver. Et s'ils vous déçoivent, avant de menacer des pires sévices (ma fille va vous mettre un mauvais commentaire sur son blog, ouuuuuh), d'abord respirez un bon coup, faites des bonshommes allumettes, et réfléchissez un peu. Rien ni personne ne vous oblige à travailler avec ces personnes, et si malgré tout vous voulez travailler avec, demandez-vous si quelqu'un que vous menacez va rester correct avec vous. Perso si on me fait du chantage, qu'on m'appelle un dimanche ou qu'on me parle sans respecter les règles de courtoisie, ça me donne envie d'appliquer un tarif spécial casse-couilles si jamais je dois faire affaire malgré tout. Chacun de mes collègues a sa technique : laisser pourrir, répondre poliment avec une fin de non-recevoir, gueuler plus fort que l'autre... Bref des réactions d'humains, quoi. Mais il est parfois très difficile de rester professionnel avec certaines personnes.
Vous saviez que certains réseaux de pros mettent en place des "black-lists"? Pour éviter de vous y retrouver, voilà quelques mots à retenir : respect, politesse, communication claire et simple - les bases des relations humaines, en fait...