Comme j'ai un peu de temps en ce moment, je traîne pas mal sur Internet (= au lieu de travailler à l'écriture de mon bouquin). Et je fouine sur plein de forums, de blogs, de sites divers et variés au sujet des dernières innovations, des potins de selliers, des avis de consommateurs - une bonne vieille veille technique et commerciale en somme, à défaut d'être allée faire un tour à Cologne la semaine passée. J'aime bien, ça détend.

Et là, je constate. Et je finis par décider d'écrire, parce que c'est aberrant, donc j'espère que cet article sera partagé beaucoup, beaucoup, beaucoup de fois et sur tous les posts et les articles que j'ai pu lire, parce qu'il est temps d'y mettre un terme. 

Quand on en vient à parler de selles de dressage, LES CAVALIERS NE SAVENT PAS DE QUOI ILS PARLENT.
Beaucoup sont complètement inconscients de la dangerosité de l'objet, pour eux comme pour leurs chevaux - et je pèse mes mots quand je parle de danger. C'est tout sauf un style de selle à prendre à la légère ou à choisir en dilettante. C'est LA selle la plus compliquée à adapter, car la plus impactante posturalement, et donc fonctionnellement, dans le couple cavalier / cheval. 

 

Il y a une sorte de mythe construit autour de cette selle : il la faut "technique", parce que ça voudra dire qu'on est bon cavalier. Et pour la plupart, technique = contraignante. Naturellement, c'est faux. Technique, dans un langage de sellier bien maîtrisé, c'est une selle que l'on peut utiliser et pas qu'on subit, donc ce serait plutôt une selle non contraignante si on devait positionner le curseur sur un critère de contrainte. Mais encore faut-il que la selle soit adaptée, de base, aux morphologies en présence ; et là, c'est le drame. Je travaille sur le terrain avec un bon réseau de professionnels maintenant, soit des dresseurs / compétiteurs qui enseignent, soit des pros de la posture du cavalier, et TOUS ont le même constat : les selles de saut ou les selles mixtes sont généralement assez convenables et plutôt bien adaptées, mais les selles de dressage sont foireuses dans 90% des cas. Soit parce que les clients ont acheté d'occasion ou sans conseil quelque chose qui ne leur va pas, soit - et c'est pire - parce que le commercial qui a vendu la selle est incapable de conseiller correctement et selon des critères d'ergonomie respectant la morphologie de la personne. Malheureusement, ça arrive. 

Les critères de choix, donc, sont pour la selle de dressage les mêmes que pour toutes les autres selles : 

  • adaptation au cheval : forme et longueur de l'arçon, ouverture d'arçon, forme et équilibrage des matelassures, sanglage
  • adaptation au cavalier : forme et taille du siège, largeur d'enfourchure, couteaux d'étrivières, longueur et forme des quartiers, taquets.

POINT. Terminé. A chaque cavalier sa selle, en fonction de sa morphologie - de ce fait, demander sur des fora quelle est LA meilleure selle de dressage est inepte. Et à chacun ses taquets. Ils sont souvent énormes, et ils bloquent la flexion des genoux. Or si on bloque le genou, on bloque la hanche. Si on bloque la hanche, on bloque le bassin. Si on bloque la jambe du genou à la hanche et donc le bassin, c'est le dos qui trinque et qui ramasse toutes les contraintes biomécaniques engendrées par le mouvement du cheval. Et si les articulations ne peuvent pas travailler en complément les unes des autres, et que certaines sont bloquées : d'autres se retrouvent en surchauffe et s'usent précocément.
Pour peu qu'on retrouve pour le même prix un troussequin exagérément haut, qui place le bassin en antéversion, c'est l'hyperlordose lombaire assurée. Sachant que généralement, les selles sont trop larges pour le cheval ("pour lui libérer les épaules"), donc basculent vers l'avant avec un pommeau surabaissé et un troussequin flottant... le phénomène est renforcé, et c'est la catastrophe intersidérale. 
Des accidents et / ou des problèmes de santé importants causés par des selles de dressage inadaptées, j'en ai quelques croustillants, voire quelques bien dégueu en stock. Mais on n'est pas chez Closer ici. C'est juste une question de santé et de vision à long terme. On n'achète pas un sac à main, on s'en fout des surpiqûres ou des strass ou du doublé veau! On veut juste pouvoir monter à cheval bien, juste, avec tout son corps, et vieillir bien à cheval. Le reste, c'est du détail. 

Et là, comme c'est un billet rédigé rapidement, je passe rapidement sur les conséquences pour le cheval ; mais imaginez bien que vous serez royalement incapables d'avoir un cheval qui donne son plein potentiel avec un cavalier instable, figé et douloureux sur son dos. La selle de dressage est une selle que l'on monte assis. C'est donc la selle qui, de fait, transmet le plus fort impact cavalier > cheval. La moindre faute d'adaptation est amplifiée, démultipliée. Et il ramasse avec vous.

Vous l'aurez compris : contraignant juste histoire d'avoir l'air d'être cavalier de dressage, c'est innaceptable. C'est la même chose qu'utiliser une paire de rênes allemandes et de tirer dessus pour "mettre le cheval en place". De la triche à court terme, une catastrophe à long terme. Une selle peut être plus ou moins encadrante, avec plus ou moins de soutien au niveau du siège ou des taquets - cela dépend des besoins de chacun, en fonction du mouvement et de la morpho du cheval. Une selle contraignante, qui bloque dans une posture et qui ne laisse aucun champ d'action? c'est un fauteuil roulant... Et ça n'a aucune justification. On ne doit jamais être coincé à cheval. Aidé, ça oui. Mais par une selle qui nous respecte, nous, dans notre corps.

On est conformé tel que l'on est, et on n'y peut rien. En revanche, la posture ça se bosse. A pied, moyennant des exercices de fitness, d'étirements, de renforcement musculaire ; et à cheval, pour apprendre à fonctionner au plus juste avec son propre corps. Et une fois que ce travail est initié, il se peut qu'on mérite, un jour, une selle de dressage comme les grands. Mais il faut bien avoir conscience qu'en étant un peu grassouillette, travaillant 8h / jour devant un ordi et ne faisant de sport que pour aller du supermarché à la pharmacie et de la pharmacie à la maison, et montant Nénuphar III que lorsqu'il fait beau - qu'il n'y a pas de vent - que le manège est libre - que les planètes sont alignées : on n'aura jamais l'utilité d'une selle comme Charlotte Dujardin. Parce qu'on n'est pas fit, parce qu'on n'a pas sa posture, parce qu'on n'a pas ses chevaux. (et qu'il y a fort à parier qu'on ne fera jamais de podium aux JO non plus)

Et au passage : une selle vraiment technique, c'est une selle qui ne vous soutient en rien. C'est une selle qui vous laisse complètement libre d'agir et de vous positionner. C'est une selle qui vous donne toutes les possibilités d'action mais aucun droit à l'erreur, vous êtes entièrement responsable de là où vous êtes et de ce que vous faites. Donc c'est plat, libre. Et là, oui c'est technique, parce qu'il faut avoir une posture impec, à toutes les allures et dans tous les mouvements. Etre cavalier, en somme.

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En bonus, je vous recolle ici le lien de mon intervention de janvier 2016 pour la formation des juges de dressage du CRE Rhône-Alpes, que vous pourrez utiliser pour éclairer tout ça.