Le saddle fitting et le club hippique. Toute une histoire.
La première réaction des gérants de club, c'est toujours "je n'ai pas les moyens".
Bien évidemment, le nerf de la guerre d'une entreprise, c'est l'argent (dans "gérant" il y a "gestion").
Avoir un centre équestre rentable, c'est extrêmement compliqué. Proposer des cours de qualité, des animations, des sorties, avec des chevaux bien gérés et dressés, le tout dans des infrastructures fonctionnelles et bien entretenues, c'est une bataille de tous les instants - d'autant plus quand les clients veulent de plus en plus de fun et de moins en moins d'équitation pour des tarifs comparables à ceux d'un club de foot.
Dans cette optique, payer un intervenant de plus, c'est juste pas possible a priori.
DE NOMBREUX AVANTAGES
Et pourtant... L'idée même du saddle fitting rentre dans la politique de qualité d'une entreprise équestre. Les bénéfices sont nombreux.
1. la base du club hippique, c'est sa cavalerie. De ses chevaux dépendent ses performances économiques et donc sa durabilité : image = réputation = clientèle = argent.
Inclure une prestation de saddle fitting offre les garanties suivantes :
- une cavalerie en bonne santé : moins de blessures de harnachement, de dorsalgies, d'atrophies musculaires = moins de frais vétérinaires / ostéopathiques = des chevaux qui travaillent plus longtemps (et un bon maître d'école, ça n'a pas de prix)
- une cavalerie qui se comporte bien : moins de problèmes de comportement à cause de selles inadaptées = moins de chutes = plus de sécurité pour les cavaliers = moins de risques professionnels
- une cavalerie qui performe mieux : des chevaux qui bougent et sautent mieux = des chevaux plus agréables à monter = de meilleurs résultats aux examens et en concours = de nouveaux clients
2. la réputation du club tient également à sa sellerie :
- les selles sont choisies et adaptées pour chaque cheval, équilibrant correctement les cavaliers = des cavaliers bien à cheval = des cavaliers contents = des cavaliers qui reviennent avec le carnet de chèques
- les selles conseillées sont choisies également pour leur facilité d'utilisation par un grand nombre de personnes. Parce qu'elles sont agréables à la monte, l'équitation est facilitée, les progrès aussi. Les cavaliers ont une bonne position = ils progressent plus vite = les moniteurs les félicitent = le chéquier sort du sac à main.
- les selles sont révisées régulièrement, un conseil d'entretien et d'utilisation personnalisé est donné pour chacune = la durabilité du matériel est prolongée = le renouvellement est limité = les investissements aussi, du coup
[naturellement, il faut aussi que les moniteurs éduquent leurs clients à respecter la sellerie ;-) ]
- les selles peuvent être réparées ou écartées avant qu'elles soient trop usées ; idem pour le reste du matériel. Tout ce qui casse met en péril la sécurité des clients! or client pas en sécurité = client pas content = client qui s'en va. Pas besoin de schéma...
Sellerie de l'Ecole Espagnole de Vienne, Autriche
3. Parce que le saddle fitting tient essentiellement en une politique de prévention et de suivi, les chevaux de club peuvent évoluer avec leurs selles et les problèmes majeurs sont au mieux évités, au pire pris suffisamment rapidement pour éviter qu'ils ne se dégradent. L'oeil extérieur du saddle fitter permet au gérant / à l'enseignant d'avoir du recul sur les questions que peuvent lui poser ponctuellement tel ou tel cheval. Dans le cas de jeunes chevaux mis à l'instruction, c'est particulièrement flagrant.
COMMENT PROCEDER?
Sauf dans le cas d'une structure toute neuve où il n'y a encore aucun matériel, la plupart des centres hippiques ont une sellerie déjà bien fournie en selles diverses et variées. Voilà comment procèder :
1. le gérant / l'enseignant détaille tous les poneys et chevaux qu'il souhaite montrer, leurs conditions de vie et de travail, les spécificités de chacun. La philosophie équine, équestre et pédagogique est essentielle à la bonne compréhension des évolutions que l'on va rencontrer dans un travail à long terme. Si les données ne sont pas connues et donc maîtrisées, on s'expose à un tas de problèmes à venir.
Lorsque c'est la première intervention, il est préférable de faire le tour de toute la cavalerie afin d'avoir une vision globale.
2. l'intégralité du matériel existant est détaillée : chaque selle est testée pour voir si elle est encore bonne au service ou pas, toutes les modifications ou réparations urgentes à effectuer sont consignées par écrit.
Là encore, c'est crucial avoir une vision globale des choses, pour savoir exactement de quelles solutions matérielles je dispose.
3. c'est seulement à ce moment qu'on descend à l'écurie. Chaque cheval bénéficie d'une analyse morphologique et posturale, d'une palpation, d'une prise de mesures, puis de l'analyse de l'adaptation de la selle attribuée. A chaque cheval sa fiche et ses commentaires :
- lorsque la selle va, on ne touche à rien
- lorsque la selle ne va pas mais qu'une ou deux idées pêchées plus tôt dans la sellerie, on essaie ce qui pourrait aller
- si en définitive rien ne va, le saddle fitter accède à son "mind palace" et recherche le meilleur rapport qualité / adaptation / technicité recherchée / budget disponible en fonction de chaque cheval.
A la fin de la journée, lorsque le jeu de chaises musicales est terminé, on sait :
- quel cheval est OK
- quels chevaux doivent échanger de selles
- quelles sont les petites adaptations à effectuer
- qui a besoin d'une nouvelle selle
- et éventuellement, quelles selles on peut vendre pour faire un peu de trésorerie.
Par la suite, il faut que tout se mette en place et que la vitesse de croisière se dessine. Certains chevaux vont très bien, d'autres auront besoin de suivi pour retrouver un dos (et goût au travail, souvent). Les jeunes chevaux vont avoir besoin de contrôles réguliers (en général, deux fois l'an, avant la grosse saison et en fin de saison), les chevaux mûrs une fois par an à peine. Le compte-rendu cible les cas problématiques et indique la marche à suivre. Il faut souvent tout autant former les moniteurs qu'équiper les équidés (d'où, d'ailleurs, la mise en place de formations à destination de ce public =) )
L'idée, au final, c'est de proposer un plan d'optimisation de la sellerie par des investissements maîtrisés et hierarchisés. Inutile désormais de passer de gros appels d'offre pour bazarder toute la sellerie et la remplacer à 100%. L'idée est de travailler, sinon en sur mesure, du moins en adapté raisonné.
POURQUOI LES CHEVAUX DE CLUB?
Parce que, nom d'un chien nom d'une pipe, vu ce qu'on leur met dans le dos et dans les dents quand on est débutant, ils ont bien droit au minimum syndical de confort!
Ces chevaux sont chargés d'une mission de la plus haute importance : faire aimer l'équitation. Ce sont eux qui nous apportent nos premières sensations, nos premiers galops, nos premiers sauts, nos premières épaules en dedans, qui participent à l'élaboration de nos talents de pâtissiers aussi...
POURQUOI LES PONEYS DE CLUB?
La plupart des bardettes sont mal conçues pour deux raisons : pas de dégagement vertébral, mauvaise posture du pitchoun avé la patte en avant.
Actuellement, j'ai un indémodable pour les nains de jardin : les Wintec Educative, avec des matelassures réglables sur velcro. Comme ces poneys sont souvent montés par des poids plume, l'absence d'arçon n'est pas réellement un problème si la selle est bien réglée.
Ceux qui sont très compliqués à seller sont les type welsh (encore eux) mountain ou petit pony. Si la longueur de dos le permet, Thorowgood Pony 14" peut fonctionner. Quelques Stübben Rex ou Laurus permettent de faire des miracles, si on sait les adapter, ce qui n'est pas évident. Les un peu plus grands et plus logiquement construits fittent correct chez Wintec Pony, ou avec de vieilles selles Forestier poney qui étaient très bien conçues.
Mais globalement, en France, on manque cruellement de solutions pour les poneys... surtout à bas prix.
EN CONCLUSION
Lorsque les chevaux sont bien sellés et bien suivis, que les cavaliers sont bien en selle et que les moniteurs, non contents d'être eux-memes sensibilisés, sensibilisent aussi leurs cavaliers, alors on tient le bon bout - et les gérants de club se frottent les mains, parce que l'investissement se révèle rapidement rentable. Un cavalier bien dans sa selle, ça paie =) Et je dis pas ça pour défendre mon bout de gras!
J'insiste principalement sur la partie "éducation" de l'affaire : les moniteurs DOIVENT être éduqués au choix d'une bonne sellerie. Cela doit faire partie de leur instruction. A l'heure actuelle, certaines formations ont sauté le pas et font intervenir de vrais professionnels pour sensibiliser leurs élèves ; les réactions sont extrêmement intéressées et positives, y compris de la part des formateurs! Espérons que la tendance aille à la généralisation de ces pratiques dans les années à venir.
Je laisse le mot de la fin à Mathilde Charvin, du CE Lucky Horse (Mazans, 84), qui a été l'une des premières gérantes de centre équestre à me faire confiance :