Bon, petite mise au point.

Ca commence à me gaver d'entendre des gens dire "j'ai une selle sur mesure, j'ai pu choisir la couleur du liseré, regarde, y a du vernis dessus". Si j'étais vulgaire, je serais très vulgaire à ce moment précis. Mais je suis une lady, ou presque, donc je me tiens.

Petit décryptage lexicologique de base : dans l'expression "selle sur mesure" il y a le mot "mesures". Si la personne qui vous a vendu la selle n'a pris aucune mesure ni sur votre cheval, ni sur vous : vous n'avez pas une selle sur mesure. Point. Barre. Exit donc (attention je trashe) les selles des grands selliers français à la mode (celui en 3 lettres, celui qui porte le nom d'une étoile, celui dont le nom ressemble à "je te tords le cou", celui dont le nom évoque le principal défaut de l'âne, celui qu'est un roi goth, celui dont le nom pourrait être celui d'un fromage, celui... etc. Vous avez tous compris de qui je parle).

Je commence à en avoir vu un paquet, de leurs selles, et JAMAIS AU GRAND JAMAIS à la question "le mec qu'est venu, il a pris des mesures?" la réponse est "oui". Quand on me dit "il a estimé le dos du cheval et il a pris deux photos", mais pétard, je me marre. Jaune, parce que ces tocards qui ont réussi à persuader les gens que prendre une photo = prendre une mesure gagnent 10 fois mieux leur vie que moi. Et puis même, question d'éthique. Prendre les vessies pour des lanternes, vendre de la neige à un pingouin, tout ça tout ça. Sérieusement, ça m'agace. Et c'est un euphémisme.

On va poser un vrai distinguo, là tout de suite maintenant, plutôt que de continuer à m'énerver, c'est pas bon pour mon coeur.

Déjà, y a le sur mesure, le vrai. La selle est conçue spécialement, de l'arçon à la dernière finition, pour CE couple cavalier / cheval et pas un autre. La CONCEPTION ne se base pas sur un objet déjà existant, le design est original. La selle n'a pas de "nom de modèle" en soi, c'est "la selle de Birgit & Bijou". Point.

Tiens, des photos.

Prise de mesures côté cheval :

P1030554

Glenn Hasker, qui utilise un outil très spécifique,
qui donne 7 angles différents

mirage

Ca c'est le relevé d'une seule mesure de garrot, avec le tracé de l'arcade correspondant dans une certaine marque, et une échelle en bas de la page. Travail net et bien fait, pour UNE SEULE mesure!

Prise de mesures côté cavalier :

hennig

Copyright photo site Hennig (marque de selle allemande)

Voilà. Ca c'est des gens qui peuvent prétendre faire du sur mesure, et y en a pas beaucoup. Et puis c'est pas vraiment ni viable, ni rentable dans le modèle économique actuel, donc pas forcément très intéressant pour les gens dont c'est le boulot. Sauf s'ils sont riches. Ou sauf s'ils sont tellement réputés que malgré des tarifs très élevés (puisque chaque pièce doit être faite à la main) que les clients s'en foutent du prix et se pressent à leur porte. En gros : c'est rare.

L'étape suivante, c'est une selle conçue en série, puis adaptée, c'est-à-dire qu'en se basant sur un objet existant d'une part, et en se basant sur des mesures d'autre part, on se débrouille pour faire des ajustements mineurs pour que l'existant d'une part soit adapté à l'existant d'autre part. Ca, c'est ce que font la plupart des bons selliers. En gros, on prend un modèle d'arçon dont on sait qu'il convient au couple, et on adapte ce qui tourne autour : taille et forme du siège (dans une certaine mesure), ouverture et longueur de l'arçon, emplacement des contre-sanglons, taille des taquets et des quartiers, etc. On peut personnaliser ça, après, avec le fameux liseré vernis. Mais ce n'est pas exactement du sur mesure : c'est de l'adaptable adapté.

Cela dit, pour bien adapter une selle lors de sa conception, il faut avoir du tangible sur lequel se baser. C'est à ça que servent les mesures prises par un saddle fitter (ou un bon commercial) sur votre cheval. On peut avoir un très bon oeil, en tant que commercial ; avec l'expérience, on arrive en un coup d'oeil à jauger grosso modo un cheval et à savoir ce que l'on peut écarter d'emblée comme modèles de selles. Sauf que le mec qui fabrique la selle (enfin les mecs, et les filles aussi, faut pas se leurrer : y a pas un atelier où c'est la même personne qui fabrique la selle de A à Z - et ces ouvriers ne sont d'ailleurs que très rarement diplômés en sellerie, ce sont des ouvriers à la chaîne formés directement par l'entreprise qui les emploie), donc, les mecs qui fabriquent la selle, eux, ils n'ont pas vu le cheval. Les mesures prises permettent donc, selon les procédés mis au point en interne, de savoir comment on va fabriquer et équilibrer la selle pour que ça colle à la demande.

Attention, souvent les systèmes de mesures sont propres à chacun.

Les mesures permettent également d'effectuer un relevé du dos à un instant T. Comme chacun le sait, la morphologie d'un cheval n'est pas figée dans le temps. Et de fait, il n'y a pas que les jeunes chevaux qui changent, comme le montre cette mesure prise à 9 mois d'intervalle sur un cheval de 15 ans...

jojo

Or, si on n'a pas pris la mesure, on ne peut PAS quantifier le "scope" d'évolution du cheval. On ne peut pas vraiment comprendre ce qui se passe au niveau de la selle, si ce n'est qu'on constate que ça allait mais que ça ne va plus. Et la mesure, justement, permet de fixer précisément l'instant T, et de jalonner l'évolution. D'où l'importance du suivi du cheval du point de vue sellesque, tout comme il est important de le suivre en maréchalerie ou en ostéopathie.

Le bon commercial en sellerie devrait être un bon saddle fitter (mais la réciproque n'est pas vraie, on peut être saddle fitter sans être commercial de quoi que ce soit) (saddle fitter ça veut juste dire "adaptateur de selle", c'est pas forcément quelqu'un qui fait du sur mesure), doit être capable, AVANT prise de mesures et commande de selle, d'évaluer l'évolution possible du couple.

Pour ma part, je ne me contente pas de jeter 4 tracés et trois chiffres sur un papier. Je me renseigne toujours sur les antécédents vétérinaires et ostéopathiques du cheval, sur les objectifs équestres et le niveau de technique du cavalier, je teste quelques points réflexes du cheval, et ça m'arrive relativement souvent de dire "votre cheval, moi à l'heure qu'il est je le selle pas. Vous le nourrissez / faites voir à l'ostéo / au véto / travaillez-le 2 mois à pied / puis on se revoit et seulement là on verra pour une selle"... C'est au propriétaire qu'appartient le choix de suivre mon avis ou pas, mais au moins j'ai une éthique et je m'y tiens. Je ne selle pas un cheval qui n'est pas prêt à l'être, physiquement ou mentalement.

Il ne sert à rien d'espérer seller avec une selle sur mesure, si elle est non évolutive, un cheval qui de toute évidence va évoluer. Par contre, n'importe quel cheval a droit à une selle adaptée, même un jeune cheval qui va changer drastiquement dans les années à venir (surtout un jeune cheval, d'ailleurs). Question de pur bon sens. Et les mesures, c'est juste ça. Ca permet pas de produire une "sur mesure" pour le plaisir de caresser l'ego du propriétaire dans le sens du poil et lui donner bonne conscience, c'est juste pour que les ateliers produisent une selle adaptée. Une selle fabriquée sur mesures sera nécessairement adaptée, une selle adaptée n'est pas forcément fabriquée sur mesures mais répond aux mesures du cheval.

Ce qui m'amène au point suivant. La capacité d'évolution de la selle par rapport à l'évolution du couple, non seulement sur le côté adaptation, mais surtout sur le côté technique.

L'équitation EST une évolution quoi qu'il en soit. Du débourrage à la mise à la retraite, le cheval passe par plusieurs stades physiques : il sort son garrot, il se muscle, il se délie, son équilibre varie. Et il en va de même pour le cavalier. La selle doit être adaptée aux physiques des deux, évidemment. Mais elle doit aussi suivre techniquement. Si on n'a pas de grands objectifs, on peut se contenter d'un outil assez simple. Mais si on recherche la performance, il faut un outil adapté techniquement. On ne fait pas des tournois du Grand Chelem avec une raquette Decathlon. On a besoin de matériaux techniques d'une part, d'une conception très réfléchie d'autre part. Un exemple : la mode aujourd'hui est à l'arçon avec du carbone dedans, parce que le carbone est à la mode dans l'automobile ou le ski. Pourquoi pas. Le carbone a certaines propriétés très intéressantes pour la conception de l'arçon, il est extrêmement solide et léger, mais il est aussi complètement indéformable donc n'a aucun mouvement. Or en équitation on veut que le cheval et le cavalier bougent ensemble, il convient donc que l'interface qui fait le lien entre eux soit capable de suivre le mouvement. Le carbone n'est donc pas, à mon sens, une bonne chose. Après je suis nulle en matériaux, donc pitêtre il y a des composés carbone qui sont top et qui possèdent juste les bonnes propriétés, j'en sais rien... mais donc, voilà. Ne vous laissez pas mettre de la poudre plein les yeux avec des trucs à la mode. Ecoutez le bon sens et la logique de votre interlocuteur.

Se poser les bonnes questions, par rapport à ce que l'on recherche de son couple avec son cheval (marche aussi avec votre conjoint(e)), et se donner les moyens de ses ambitions. C'est triste à dire mais l'équitation coûte cher. Ah bon, vous l'aviez pas remarqué? ;-)

Bref.

Bonne journée!