Voilà quelques jours, j'ai reçu un mail très intéressant d'une lectrice, Anaïs. Elle m'a fait part de son témoignage et de sa réflexion sur l'usage des étriers en fonction des divers traumatismes dont sont susceptibles de souffrir les cavaliers. Témoignage étayé par les connaissances de sa maman, kinésithérapeute, j'ai trouvé ça super intéressant donc je partage avec vous.
Comme beaucoup de cavaliers, j'ai commencé à avoir il y a 3 ans des problèmes de cheville importants, puis de genoux. De grosses douleurs, des entorses à répétition, voire des tendinites.
J'ai vu l'arrivée des étriers articulés comme un soulagement, je m'en suis acheté, et j'ai testé. Je n'avais pas monté depuis longtemps, et je suis partie direct sur un TREC avec. Pas mal, mais des douleurs quand même.
Puis je me suis à nouveau arrêtée 3 mois (vive les études), et j'ai repris subitement de façon intensive. Au bout de 2 semaines, entorse sur entorse. A chaque fois que je remontais, je me refaisais mal, et les jours suivants, je boitais de plus en plus. J'ai eu beau respecter les préconisations, depuis le mois d'août je ne peux plus monter sérieusement à cheval, et je suis en règle générale interdite de sport.
Au bout d'un moment, j'ai fini par remettre en question mes étriers. J'en ai discuté avec ma mère, qui est kiné, et avec plusieurs médecins et osthéopathes. Voici nos conclusions :
La position du cavalier dans des étriers classiques impose bien souvent une hyperextension de la cheville ("hyperflexion dorsale" est le terme médical approprié ;c'est le fameux "talon vers le bas"), préconisé par les moniteurs pour tenir l'équilibre. Cette descente permet d'abaisser notre centre de gravité et de le reculer, par réflexe. Mais aucune articulation de notre corps n'est faite pour être en hyperextension prolongée.
Copyright Laurence Grard Guenard, http://equipeda.info/
Les pieds à plat par terre, adoptez la position d'équilibre à cheval : genoux, cheville et hanches modérément fléchis. Demandez à quelqu'un de vous pousser légèrement dans le dos, créant un déséquilibre. Vos 3 articulations rattrapent vite le coup, et vous bougez à peine.
Faites maintenant la même chose en posant la pointe de pied (les têtes des métatarses, ce qui repose classiquement sur le plancher de l'étrier) sur une petit marche, une petit planchette, bref un peu plus haut que le talon. Vous avez maintenant la position classique du talon vers le bas. Lorsque l'on vous pousse dans le dos avec le pied dans cette position, la cheville ne pourra rien faire pour vous, étant DEJA en hyperextension. Les hanches et les genoux vont donc devoir encaisser tous seuls.
Plusieurs conséquences:
-> Beaucoup de cavaliers présentent une laxité excessive des ligaments postérieurs, ceux qui "tiennent le talon". Ils sont sans cesse en position étirée pendant la monte, et finissent par s'abimer.
-> Pour compenser cette laxité, le muscle du mollet va se développer, les tendons vont prendre le relais. C'est pour cette raison que quand on est démusclé ou tout décontracté, les talons "tombent" plus facilement. Mais les tendons n'étant pas du tout faits pour assurer le travail des ligaments, ils faiblissent à leur tour, entrainant des tendinites.
-> Les genoux sont alors soumis à rude épreuve. Ils doivent amortir une forte charge, et sont souvent touchés avant les hanches. A leur tour, les ligaments des genous soumis à rude épreuve vont faiblir, et le quadriceps, muscle supérieur de la cuisse, se retrouve en charge alors qu'il ne devrait pas avoir à soutenir toute la jambe.
Peu à peu, toute la partie "soutien" du corps se retrouve mise à l'épreuve, en particulier les articulations et la colonne vertébrale. Selon les personnes, 2 types de problèmes peuvent apparaître:
-> Soit le corps se raidit en réponse à ces problèmes. Les douleurs sont des pincements, et surviennent par choc excessif des parties les unes contre les autres. Le dos est le principal symptôme, mais les hanches et genoux peuvent en souffrir également (cas des cavaliers intensifs très musclés )
-> Soit le corps n'a pas la force de se raidir (ce qui m'est arrivé après de longs mois sans équitation), et peu à peu ligaments et tendons sont trop sollicités, et répondent par des entorses et des tendinites. Les douleurs sont alors à la cheville majoritairement, au genoux et aux hanches. Ces douleurs se différencient des autres par le fait qu'elle s'intensifient quand on essaie de tendre la pointe de pied (pour la cheville par exemple).
Selon la réponse du corps, la solution est complètement différente, et si vous avez des douleurs, il est donc impératif de voir un médecin et se renseigner sur l'origine (articulaire, ligamentaire, arthrose anticipée etc ) pour savoir comment réagir:
Dans le premier cas, les étriers articulés peuvent être un bon salut, en particulier quand les articulations sont dégradées au niveaux osseux, car ils amortissent les chocs.
En revanche, dans le deuxième cas, ils auront un effet destructeur car réduisent la stabilité et sollicitent davantage les ligaments et tendons (c'est ce qui se passe quand on marche dans un sol profond, genre du sable - pensez au parallèle avec les chevaux : les sols durs fatiguent les articulations, les sols mous fatiguent les tendons!). Dans ce deuxième cas, on préferera avoir recours à des étriers à large plancher, et en parallèle, il faut penser à une rééducation spécifique pour redonner un peu d'élasiticté aux ligaments. Dans les cas les plus graves (comme le mien), les étriers à plancher intégral sont idéaux pour soutenir "artificiellement" le talon le temps de la convalescence.
Il est donc à noter que l'idée même de baisser les talons est à remettre en question. De plus en plus de moniteurs font travailler leurs cavaliers sur la position en maintenant le pieds "à plat". Les étriers trop courts sont aussi un gros facteur risque... De manière générale, les étriers à plancher intégral ne sont pas que des outils thérapeutiques, et previennent d'une bonne façon ce problème en offrant au pied le vrai maintien. Encore faut-il pouvoir se les payer (130€)! Mais en attendant, des bons plancher larges, une bonne longueur d'étriers et un vrai travail de position font déja de bonnes avancées et limitent énormément le problème à la racine!
Depuis, j'ai testé quelques mois des étriers à oeillets décalés (ou branches asymétriques) : ils ont nettement soulagé mes douleurs parce qu'ils soutenaient mon pied dans sa position "malade" (tordu vers l'intérieur par rapport à mon mollet, mon ligament interne étant plus court que la normale et l'externe proche de la rupture...). Moins de douleurs donc, mais point de rééducation. Ils ont par ailleurs brutalement cassé en plein galop, fragilisés par le poids concentré sur une branche :-/
Aujourd'hui, je tourne avec 2 paires :
- Des étriers islandais pour la monte en carrière: ils me laissent assez de liberté pour me muscler, mais ne m'orientent pas le pied dans des directions douteuses comme le font les oeillets classiques et leur pointe de pied rentrée vers l'intérieur...
- Des étriers Kvall quand je sors de mon bacàsable... Balade, trec, endurance, il me permettent d'avoir le meilleur appui possible, très peu de fatigue, et un bon équilibre. Pour rien au monde je ne m'en séparerais! Pour la petite histoire, mon poney semble les apprécier autant que moi : ils m'aident à être stable et à garder un centre de gravité fixe même dans ses grands élans de trot à la welsh, en appui complet sur mes deux pieds je laisse son dos s'articuler et basculer librement en dessous... Il s'est métamorphosé la première fois que je les ai portés plus de 5 minutes, sur un POR de 3h en terrain sableux et irrégulier. Bref, encore une exemple de l'effet de notre bien-être sur celui de notre cheval ! [NDLR : c'est pas la première fois que j'entends parler de cet effet sur le cheval, et on m'a même dit que ça améliorait considérablement les appuis de la selle sur le dos du cheval!]
Je leur reproche simplement de laisser moins de champs libre au mollet et au pied, ce qui est gênant pour dresser et sauter en finesse, quand le gramme près est de rigueur. En terme de sécurité, par contre, c'est vraiment un faux problème. D'une part on tombe bien moins facilement avec puisqu'on est très stable même en cas de rodéo (j'ai un expert à la maison pour ce genre de test), et d'autre part quand je suis tombée avec (tout a ses limites :-p) le système de décrochage des sangles a toujours parfaitement marché. Ca ne repose pas sur de l'électronique ou même de la mécanique de précision, il se décroche une peu comme un bouton pression. Quand on le manipule, on comprends aisément que c'est fiable. Je dirais même qu'il est moins traumatisant en cas de chute, car le pied n'a pas besoin de se tordre pour quitter l'étrier!
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Mes commentaires sur ce témoignage :
1. la descente de la jambe vient de la hanche, et pas uniquement de notre capacité à baisser le talon ; c'est la détente musculaire, partant de la hanche, qui permet de faire descendre la jambe. Comme le dit Anaïs, c'est tout un travail à faire sur la posture du cavalier. Toutes les articulations doivent fonctionner ensemble, donc ce qui les bloque (talon en bas, taquet qui coince le genou, selle qui place le bassin en anté ou rétro-version = mal équilibrée sur le dos du cheval ou inadaptée au cavalier) est à proscrire, car on se retrouve à compenser ailleurs de façon excessive ; qui dit excès dit risque à long terme. Il faut trouver une position où on se trouve "debout à cheval", où tout est "au point neutre" de sorte à pouvoir bouger dans toutes les directions : vers le haut, le bas, l'avant, l'arrière, la droite ou la gauche.
2. notez quand même l'interdiction des K'vall en compétition officielle, ce qui est parfaitement regrettable, surtout en endurance...
3. les étriers articulés ne sont donc pas la réponse à tous les maux, loin de là. Les étriers à plancher large et à oeillet perpendiculaire au plancher, pour ma part, je les recommande à tout le monde, problèmes physique ou pas. Ca augmente la surface d'appui du pied, donc ça permet une meilleure stabilité, une meilleure circulation sanguine aussi (ça limite la sensation "orteils en verre qui éclatent" quand on descend de cheval en hiver!) et l'oeillet déporté permet de chausser naturellement l'étrier sans imprimer de torsion particulière ni à l'étrivière (qui reste ainsi sur son plat) ni à la jambe (idem + pas de position "en force" qui induit une crispation).
4. malheureusement ce ne sont pas des design très répandus, donc ça coûte cher...