photonelfikfanellequintaetpongo117Lors de mon dernier sondage "sur quel thème devrais-je écrire?", la réponse "grands cavaliers / petits chevaux" a été assez fréquente. Elle va de pair avec de nombreuses questions que je me pose actuellement au sujet de l'impact du cavalier sur le cheval, en fonction de plusieurs critères. J'ai déjà écrit sur le thème des "cavaliers tordus" et de leur impact sur le dos des chevaux, mais tout ça en réalité s'inscrit dans une problématique plus large, que je vais essayer d'expliquer plus avant.

On tend de plus en plus à être dans un système holistique, concernant nos chevaux : c'est-à-dire que tout a un impact sur tout. La santé au sens général, de la médecine vétérinaire à l'ostéopathie / chiropraxie, du parage / ferrage au matériel d'équitation, de l'entraînement à la nutrition : tout fonctionne ensemble. Détraquez un de ces paramètres, il y aura un impact sur tout le reste.

C'est bien d'avoir conscience de tout cela quant à nos quadrupèdes, mais on oublie trop souvent une chose : le cavalier, qui a le plus grand impact qui soit sur son cheval (non seulement parce qu'il est responsable de la gestion de l'habitat, de la nourriture et des soins, mais aussi parce qu'il lui grimpe dessus).
Le cavalier aussi est au coeur d'un système holistique, et la difficulté, c'est qu'en réalité, ce sont deux systèmes à l'origine différents qui se confondent en un seul.

Si quelque chose ne fonctionne pas correctement chez le cavalier, on aura des répercussions sur le cheval. La difficulté est donc de faire fonctionner tout ça ensemble, ce qui est tout à fait prise de tête, et en même temps on monte à cheval à 90% pour nos loisirs donc précisément pour se vider la tête des prises de tête quotidiennes. Paradoxe. Argh.

Le choix du cheval par rapport au cavalier

Revenons au sujet, grands cavaliers / petits chevaux. En soi, ce n'est pas tant la taille qui compte que le gabarit de façon générale. Un petit cheval robuste s'accomodera probablement mieux d'un cavalier un peu lourd qu'une grande perche sans trop d'os.
Si je prends mon exemple personnel, j'ai un poney d'1m55 environ, alors que je fais 1m70 et pas vraiment la taille mannequin. D'aucuns diraient qu'il est trop petit pour moi, sur le papier. Sauf qu'il a une encolure bien orientée et une épaule très oblique, qu'il est large d'épaules, qu'il a une cage thoracique ample et profonde et qu'il est puissant de façon générale. Je suis très bien dessus, et n'ai pas l'air d'un crapaud sur une boîte d'allumettes, pour autant que je puisse en juger.

Donc : à choisir un cheval, ne vous basez pas sur sa taille, mais sur son modèle au sens large ; si vous êtes grand, préférez un cheval longiligne ; si vous êtes petit, un cheval bréviligne. Il faut savoir juger du modèle, ce qui est difficile j'en conviens (un petit lien pour poser les bases). Il faut également choisir sur le mental et l'adéquation du cheval à nos ambitions équestres, bien évidemment. Mais restons concentrés sur la question du modèle.

Glenn Hasker m'a transmis une expression que j'utilise souvent : "the joint has to fit the plate", en français "le rôti doit tenir dans l'assiette". Pour des raisons tant pratiques qu'esthétiques, physiquement, le couple doit être assorti. Sinon, au niveau de l'adaptation de la selle, on va vite se retrouver avec des difficultés, et l'un des deux se retrouvera privilégié au détriment de l'autre - ce qui au final fera que les deux seront mal, puisque les deux fonctionnant ensemble, celui qui est "à l'aise" ressentira le malaise de l'autre et en pâtira également.
Au niveau de la pratique équestre, c'est la même chose. Un cavalier aux longues jambes sur un pur-sang tout fin aura les pieds qui dépassent sous le ventre, un cavalier à petites pattes sur un cheval de trait atteindra à peine la moitié de la cage thoracique du cheval ; un cavalier avec un long buste aura l'avantage d'avoir un balancier très puissant, mais sur un cheval à l'encolure courte, il se sentira très mal à l'aise ; et à l'inverse un cavalier au buste court aura l'impression d'être le capitaine du Titanic sur un cheval à l'encolure longue.

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Pierre Beaupère, cavalier de dressage, grand gabarit et pieds qui dépassent.
Il faut avoir une bonne maîtrise de ses jambes dans ce genre de cas.

Donc un couple assorti et "standard" sera facile à seller convenablement pour les deux parties. Si on a un couple complètement désassorti ou des morphologies très particulières (un cheval très court pour un cavalier très grand, ou un cheval très costaud pour un cavalier tout menu), les solutions classiques vont être bien plus difficiles à trouver. Il faudra s'orienter sur des gammes de selles assez spécifiques, et ça a un prix. Parce que oui, évidemment, si on a besoin de quelque chose qui sort de l'ordinaire, le budget s'en ressent... 

La surface portante

En saddle fitting, le premier critère quand on cherche à assortir un couple, c'est la relation entre la longueur du fémur du cavalier et la longueur du dos du cheval. Ce que j'appelle "dos", c'est en fait la surface portante, qui est délimitée par l'épaule à l'avant, le rein à l'arrière, et qui consiste grosso modo en la partie "basse" de la cage thoracique, de T9 à T18 - notez que les arabes et les barbes et tout ce qui est croisé avec ces races est susceptible d'avoir une paire de côtes en moins, donc une surface portante plus courte.

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Si le cheval a le dos plus long que le fémur du cavalier, il y a de la place. Si le cheval a le dos plus court, ça devient difficile. S'il a le dos qui fait moins de 45cm, pour un cavalier adulte, c'est souvent compliqué. A titre indicatif, une selle en 17" mesure 43cm ; les panneaux de la selle, qui constituent la surface portante, mesurent rarement moins de 47cm.

La longueur du dos, relative ou absolue...

La longueur de dos n'a rien à voir avec la taille ou le sexe de l'animal. La semaine dernière, j'ai vu deux chevaux en consultation, une trotteuse d'1m60 et un poney d'1m45, ils avaient le dos qui faisait exactement la même longueur, soit 44-45cm. Pour le poney, ça tombait "sous le sens" par rapport à son gabarit très compact, pour la jument, elle avait un dos court par rapport à l'ensemble de sa morphologie.
La longueur de dos peut avoir à voir avec l'état physique du cheval. Un cheval bien musclé dans son ensemble aura le dos tendu, remonté ; un cheval aux muscles relâchés, qui se tiendra sans gainage, aura le dos creusé et raccourci. Ce qui signifie qu'on peut faire quelque chose pour que par le travail, le cheval gagne en portance - et dans une certaine mesure, en surface portante, donc en place pour la selle. Je vous invite à parcourir cet article, qui a le mérite de poser ces choses au clair.
Les questions de position, et au-delà, de posturologie, sont les mêmes pour le cavalier comme pour le cheval. Si on se tient correctement, on se "grandit", on prend de l'ampleur, on se délie. Il en va de même pour le cheval... et ça change énormément de choses au niveau de l'adaptation de la selle, évidemment.

La taille du cavalier, relative ou absolue aussi!

Au niveau du cavalier, il va falloir aussi déterminer s'il est grand dans l'ensemble ou si ce sont seulement ses jambes qui sont grandes. Certaines personnes, malgré une taille générale assez conséquente, ont de petites jambes. Donc au niveau de la selle, le problème sera moindre. Par contre, certaines personnes, même sans être très grandes, ont des jambes proportionnellement longues par rapport à leur taille globale.
Ca n'a pas vraiment d'impact sur la taille du siège, contrairement à ce que l'on peut entendre parfois, par contre ça demande idéalement un travail spécifique sur les quartiers. Et là, on risque de se retrouver avec un cavalier avec les genoux directement sur les épaules de sa monture, surtout avec une selle dont la projection des quartiers vers l'avant est augmentée. D'où l'importance de prendre en compte TOUTE la morphologie du cheval lors du choix de la selle (une selle avec une grande projection de quartiers sur une petite claquette aux épaules ridicules, c'est pas terrible...)

Mais alors, que choisir???

Si j'ai un cavalier à grandes jambes pour un cheval court, puisque c'était la question de départ, je vais favoriser une selle qui va donner un équilibre plutôt vertical, donc une selle mixte tendance dressage, dressage, voire islandaise. Je vais essayer de garder le cavalier "centré" sur le dos du cheval, en utilisant toute la surface portante disponible, mais qui est de fait assez réduite en longueur.

Mais j'éviterai les selles typées cross ou obstacle. Autrement dit, j'éviterai les selles faites pour une monte avec "la cuisse oblique" (et les étriers courts), parce que le cavalier prend beaucoup plus de place en longueur, et se retrouve avec les genoux sur les épaules de sa monture. En outre, ce sont souvent des selles assez longues car faites pour favoriser le recul de l'assiette, donc il n'y a pas forcément de place pour ça. Il est possible de trouver des selles d'obstacle dont la forme est travaillée pour éviter ce phénomène, mais elles ne courent pas les rues (et valent donc un certain prix). En outre, bien souvent, elles ne sont pas "de style français", donc ne plaisent pas vraiment... Mais hé! on peut pas tout avoir.

En comparaison ici, une Albion SLK Royale (dressage) et une Butet cross-country. Les points verts indiquent le creux du siège, où se place le cavalier ; et l'attache du couteau d'étrivière. La ligne rose indique l'oblique suivie par la cuisse.

albion-slk

butet-cross

J'ai tendance à éviter les selles de randonnée et d'endurance, qui sont souvent très longues (à part les Gaston Mercier et les modèles construits sur l'arçon islander de Guichard - attention, les Gaston Mercier sont loin d'aller à tous les chevaux).

Si vraiment la surface portante est ridicule par rapport à la taille du siège dont on a besoin pour le cavalier, même avec des selles mixtes / dressage, on peut jeter un oeil du côté de la marque Massimo, qui est spécialisée dans les selles pour chevaux courts. Il y a même une option "supercourt", avec les panneaux dits FK (Französiche Kissen = panneaux à la française, vissés au lieu d'être lacés), qui permet de gratter encore quelques centimètres. Ces quelques centimètres ont l'air dérisoires comme ça, mais au niveau de l'équilibrage et de la locomotion ça peut vraiment faire toute la différence.
Sinon chez Stübben, on arrive à avoir des selles assez courtes aussi - de même que chez toutes les marques qui proposent des gammes "compact" comme Sommer, Thorowgood / Kent and Masters (hé oui, depuis peu), Kieffer aussi je crois, et puis chez les anglais, les selles pour "native ponies" sont intéressantes aussi (car les native ponies sont courts, oui oui oui).

Le mythe du "cheval court et porteur"

Ce problème du grand cavalier / petit cheval tend à se généraliser pas mal, pour deux raisons à mon avis. La première, c'est que l'équitation de loisirs prend de plus en plus d'ampleur, et beaucoup d'adultes qui font de la balade et / ou de la randonnée préfèrent s'orienter sur des grands poneys ou petits chevaux, parce que c'est souvent plus pratique (niveau montoir, branches dans la tronche, etc) et rustique. Sauf que souvent, ces chevaux sont proportionnellement brévilignes, donc un peu courts pour les adultes en question. Or on les achète pour faire de la rando, donc avec des selles longues. Pas simple.

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Un joli modèle de mérens, qui illustre bien mon propos sur le dos court.
Copyright photo.

Je laisse de côté les chevaux américains et les selles western. Ces chevaux sont proportionnellement plus longs que les petits chevaux rustiques d'origine européenne (avec l'apport de sang PS dans le QH? je sais pas, je m'y connais pas assez), leurs selles ont été faites pour leurs modèles, donc en général ça colle mieux. Je dis bien en général, quoi que les généralités sont dangereuses et souvent inexactes.

Retour au sujet. Là, je vais revenir sur un événement récent : un ajout que j'ai fait à l'article sur le poids de la selle, où je disais en substance que si le cavalier était en surpoids et qu'on voulait épargner quelques kilos au cheval, il ne servait à rien de vouloir ôter 3 kg à la selle, qui est fixée sur le dos du cheval. Mieux vaut que le cavalier, qui n'est pas forcément très fixe et a son inertie propre, perde lui-même 3 kg. Pour le cheval, le résultat sera plus intéressant. Cet ajout, prononcé à mon habitude de façon lapidaire, a provoqué un tollé chez certaines personnes sensibles du sujet. Je peux m'excuser pour mon manque de tact, je ne vais en revanche pas m'excuser de dire la vérité.

On est dans une société qui a grandi pas mal au cours de ces dernières générations, et surtout, qui grossit de façon exponentielle (la faute à un tas de raisons, si vous voulez des réponses sur le sujet, penchez-vous notamment sur la question des glucides). C'est un fait, et vouloir s'en cacher c'est faire l'autruche. Et donc, les adultes plus grands et surtout plus lourds qu'autrefois qui veulent monter à cheval ont conscience de leur poids, et donc se mettent en recherche de chevaux porteurs. Ils pensent, à raison parfois, à tort d'autres fois, que les petits chevaux courts et trapus sont plus porteurs que les grands chevaux. Sauf que "oui mais". Qui dit cheval court dit "pas la place pour caler une selle assez longue pour le derrière voluptueux". Damn it.

Bon, pour la petite histoire, y a la sellerie WOW, en Angleterre, qui fabrique une selle spécial "postérieur généreux", en taille de siège 22 et panneaux correspondant à du 18". Le modèle s'appelle Bounty et coûte la bagatelle de £2.295. Oui, les Anglais(es) sont de plus en plus "american sized". Mais autant vous dire que sur un dos court de native pony ça rentre même pas en rêve.

Un cheval porteur n'est pas un cheval au dos court. Un cheval porteur, c'est d'une part un cheval solide, avec des sabots, des membres et des articulations bien robustes (comme qui dirait : ce qui fait la portance d'un pont, c'est la qualité et la disposition de ses piliers, pas la longueur de son tablier), d'autre part, bien construit et orienté et capable d'employer ses muscles correctement. Je vous renvoie à l'article sur le fonctionnement biomécanique du dos, cité ci-dessus. En gros : c'est un cheval bien foutu et entraîné correctement.

Nier l'impact considérable du surpoids du cavalier sur le cheval, c'est également faire l'autruche. Des études scientifiques ont été mené, je vais ici vous traduire un article qui rend compte du résultat d'une étude.

La plupart des chevaux en bonne santé peuvent porter facilement un cavalier et sa selle, mais ils ont leurs limites. Les chercheurs viennent d'identifier le seuil à partir duquel un cavalier est trop lourd pour être porté confortablement par son cheval. 

Pour arriver à ce résultat, les scientifiques se sont basés sur des mesures approfondies prises sur 8 chevaux montés, portant de 15 à 30% de leur propre poids. Ces chevaux pesaient de 400 à 625kg. Lorsqu'ils portaient 15 à 20% de leur propre poids, les chevaux ne montraient que peu de signaux de stress. Lorsque la charge a dépassé les 25%, les signaux physiques ont changé significativement, et sont devenus très accentués autour des 30%. Ils respiraient bien plus rapidement, leur pouls était bien plus rapide à partir du moment où la charge dépassait les 25%. Après une journée de trotting et de canters sous les charges les plus lourdes, leurs muscles montraient des signes alarmants de raideurs, voire de douleurs. A charge égale, les chevaux qui se montraient les moins affectés étaient ceux qui avaient les reins les plus larges (zone située entre la dernière côte et la pointe de la croupe).

En se basant sur ces résultats, les auteurs de l'étude recommandent donc de ne pas charger le cheval de plus de 20% de leur poids. Un cheval de 545kg ne devrait donc pas porter plus de 109kg de cavalier et d'équipement. 

Le plus intéressant, c'est que cette recherche de l'Institut Technique et Agricole de l'Université de l'Ohio arrive à la même conclusion que le manuel de cavalerie de l'armée américaine, publié en 1920.

Voilà, donc ne recherchez pas un dos court pour un cheval porteur, mais des reins larges. N'oubliez pas que ce n'est pas la distance qui fatigue le cheval, mais la charge sur son dos (d'où que les guerriers Huns d'Attila avaient chacun 3 chevaux, c'est ce qui leur conférait leur rapidité légendaire sur de longues distances). Plus il est chargé, plus il fatiguera vite. Moins il est entraîné, moins il tiendra la distance. Donc moins il est chargé, plus il est entraîné, plus le cheval sera performant.

On peut aussi causer de fixité d'assiette et tout, alors oui, un cavalier plus lourd mais fixe sera peut-être plus agréable pour le cheval qu'un cavalier plus léger et pas fixe, mais à fixité égale, mieux vaut celui qui pèse le moins lourd. C'est de la logique pure. Et de l'holistique simple (le principe de l'holistique est très simple, l'application en est extrêmement compliquée).

Si on part dans une équitation totale, pour reprendre le terme de Racinet, il faut se rendre compte que l'équitation n'est pas qu'un loisir. C'est l'équivalent de ce que les Japs appellent le "dô", la voie (par exemple, le karaté-dô, c'est la voie du karaté, et c'est pas juste enfiler un karate-gi et faire des katas, mais ça implique tout une philosophie de vie où l'on met son corps et son esprit à disposition de sa pratique). Donc pour être le plus performant possible à cheval, il ne suffit pas d'avoir un cheval et de savoir le monter. On en revient à Michel Robert, qui a perdu du poids, arrêté de fumer, s'est mis au yoga, etc etc. Et à 66 ans il est encore au plus haut niveau, grâce à ça, alors que 10 ans en arrière les médecins ne lui donnaient plus que quelques mois à cheval.

Le fin mot de l'histoire

Grand cavalier, petit cheval : en soi, ça ne veut pas dire grand chose. La taille compte, mais ne fait pas tout (sans allusion grivoise aucune). Ce qui importe, dans le choix du cheval puis dans le choix de sa selle, c'est de prendre en compte les gabarits dans un premier temps, les aptitudes et objectifs dans un second temps.