Ça commence à se savoir : ma conception de l'équitation est d'abord sentimentale.

Alors par "sentimentale" j'entends pas bisounours gnan-gnan. Non, je recherche quelque chose qu'un J-C Barrey appellerait "isopraxie", une Sally Swift "équitation centrée", mon ancien enseignant "le sentiment de la fesse". L'accord des centres de gravité du cavalier et du cheval via la posture et la respiration vient avant toutes les autres techniques. La technique est importante, mais un cavalier technique sans sentiment, ça se voit, et bof, c'est moins joli. Et dans les sports équestres, c'est pareil (j'adore regarder les Grands Prix de CSO le dimanche soir sur Equidia) : une bonne technique c'est bien, mais un couple qui vibre ensemble, c'est juste le pied à regarder, ça file des frissons.

Donc là vous me voyez venir avec mes gros sabots, maintenant que j'ai causé de CSO : j'aime beaucoup l'approche de Michel Robert. Dans ses bouquins, il énonce des principes simples, clairs et plein de bon sens, avec une démarche qui fait de l'équitation un système global, au-delà du simple fait technique de monter à cheval. Quand on regarde ce cavalier en selle, on voit le feeling, le respect du cheval et la confiance réciproque de celui-ci. Et c'est un système qui marche visiblement, parce qu'une telle longévité au plus haut niveau, un tel palmarès, une telle régularité, y en a pas beaucoup qui peuvent s'en targuer.

michel_kellemoi

 Michel Robert sur Kellemoi de Pepita, Global Champions Tour Chantilly 2011
Photo Stéphanie Marlet

Michel Robert monte avec des selles de la marque Prestige, il a même un modèle à son nom (d'ailleurs élue meilleure selle d’obstacle en janvier dernier en Allemagne), conçu selon ses directives.

selle-michel-robert

Prestige, c'est une marque que j'aime assez, parce qu'on a pas mal de possibilités d'adaptation au cavalier comme au cheval. Évidemment il y aura toujours des chevaux ou des cavaliers qui n'y trouveront pas leur bonheur, mais si on vivait dans un monde sans exception, ce serait pas drôle (et j'aurais nettement moins de boulot).

Michel a donc fait appel aux services de Thierry Civel pour adapter ses selles à ses chevaux de concours et l'aider à faire évoluer sa selle en fonction de l'évolution de son équitation. Thierry, je l'apprécie professionnellement, parce qu'il bosse dans un vrai souci de fitting ; je pense qu'il est l'un des meilleurs Français pour travailler les selles Prestige, que d'aucuns vendent comme de vulgaires selles (je ne vise personne... ah si en fait). Et il est sympa, ce qui ne gâche rien.

Pensez bien que quand j'ai su qu'il allait chez Michel Robert, j'ai voulu m'incruster =) Ça tombe bien, il m'a invitée. Joie.

tumblr_lqbvrrrRmo1qgcbz5

Passés les traditionnels emmerdements de 9h du mat' au sud-est de Lyon et la blague de rigueur du GPS, j'arrive après le café mais avant la bataille aux écuries. Qui sont belles, fonctionnelles, überklasse.

IMG_0511

Michel et Thierry sont dans le boxe d'une grande jument noire de 11 ans, Oh d'Eole (c'est pas n'importe qui, c'est une jument qui commence les internationaux 5*), et Thierry est en train d'expliquer quel type de selle il utiliserait pour elle et pourquoi.

oh-déolePhoto Jumpinews.com

Et il y a Karine, du site Horse Academy (le site des cours en ligne de Michel Robert) qui filme l'intervention du sellier, pour réaliser un petit reportage sur comment et pourquoi adapter la selle au cheval.

Thierry part chercher deux selles d'obstacle dans son camion, avec des spécificités différentes. Il ramène une Paris, une selle quasi-plate, très peu contraignante et close contact, en panneaux latex, et la Arezzo, une selle plus anglo-saxonne d'aspect, avec des matelassures laine compensées, un siège semi-creux travaillé pour descendre la jambe et des taquets assez volumineux. Michel sort également sa propre selle, et une autre plus ou moins similaire, avec une enfourchure travaillée pour être plus étroite. Il explique qu'il a une jambe gauche plus tonique, et une jambe droite plus laxe (ce qui se voit au niveau de ses étriers) ; il nous explique qu'il est en train de travailler sur sa posture pour y remédier, mais que c'est un long processus.

paris_new_xog

Prestige, modèle Paris

Arezzo-New_xo

 

Prestige, modèle Arezzo

S'en suit une série d'essais avec ces 4 selles, et aussi pour le fun la Desert Light, apparemment très confortable.

Desert-Light-Rossa-xo

Pour chacune des 4 selle, il fait un test aux trois allures et sur quelques barres. Si les barres basses passent bien et que la selle donne satisfaction, il saute un peu plus haut et enchaîne un petit parcours. Thierry et moi observons avec attention sa position assise et en équilibre, le comportement de sa jambe au-dessus des barres d'une part ; la locomotion et l'attitude de la jument d'autre part. Thierry insiste bien sur ce point : il faut bien séparer la selle en deux sur un plan horizontal :
- au niveau supérieur, celui du cavalier, il est important de trouver la forme du siège qui convient (profondeur, largeur, longueur, enfourchure). Le reste, forme et taille du quartier, taille et emplacement des taquets, ça peut toujours être modifié.
- au niveau inférieur, celui du cheval, il faut considérer la forme et l'ouverture de l'arçon, la forme et le rembourrage des panneaux.

Évidemment, il est important de prendre l'équilibrage de la selle en considération, et de bien réaliser que si l'un n'est pas à son aise, l'autre ne le sera pas non plus...

On remarque ainsi que sur la Paris, la selle plate, notre cavalier doit vraiment faire un effort pour rester à sa place ; c'est le propre d'une selle qui laisse très libre, en contrepartie il faut être capable d'être « gainé ». Bon, ça reste tout relatif, vu qu'à son niveau Michel est capable de monter avec n'importe quoi, mais il ne dégage pas cette impression de fluidité qu'il a habituellement. Exit donc, ça ne correspond pas à ce qu'il recherche.

Alors attention : l'équitation est une évolution. C'est-à-dire qu'un cavalier qui se trouve bien dans une selle à un moment donné pourra s'y sentir moins bien quelques temps après. L'équilibre, le centre de gravité, le ressenti, la souplesse : toutes ces données sont susceptibles de changer avec les progrès, l'âge... ou, pour une femme, le fait d'être enceinte, ce qui influe énormément sur le centre de gravité ! 

Arrive l'Arezzo avec ses gros taquets (qui ne gênent pas notre cavalier, parce que l'avancée du quartier est très prononcée).

Thierry insiste bien sur ce point : les taquets ne servent à rien en situation normale. Ils ne doivent être au contact de la jambe qu'en situation limite (cheval qui pile sur une barre : la cuisse vient buter contre eux, et ça évite de se manger l'encolure, par exemple). Et c'est ce que je me tanne le cuir à vous répéter à vous, lecteurs, à longueur de temps, surtout quand on parle de selle de dressage : les gros taquets, ça ne sert à rien pour votre position !!! Ben pareil en obstacle. Pis si on n'est pas content de la forme qu'ils ont sur la selle d'essai, chez la plupart des selliers on peut demander à les faire retravailler...

Le travail effectué sur le siège de la Arezzo (et pas sur l'enfourchure comme sur la selle précédente – ce qui prouve que la question d'enfourchure n'est pas si importante finalement) pour faciliter la descente de jambe se révèle payant dans le cas qui nous intéresse. Michel a les jambes à leur place. Il compare l'assise à celle de sa selle de dressage (une Prestige D1 - le kiff absolu, surtout pour votre banquier). Voilà qui donne des pistes pour faire évoluer le prochain modèle Michel Robert : il faudra travailler le siège pour obtenir une descente de jambe plus immédiate, plutôt que de chercher à vouloir affiner l'enfourchure - ce qui ne servirait pas à grand chose dans la recherche du cavalier.

Au niveau de la jument, qui a un garrot long et sorti et un dos osseux, les panneaux latex sont trop fins : l'arçon se retrouve trop proche du dos et en gêne la montée et l'articulation, notamment au galop et sur les barres. On utilise donc un correcteur Mattes pour lui donner un peu de place et corriger l'ouverture un peu large. Mais c'était quasiment couru d'avance : elle se révèle sous la Arezzo, la seule de notre banc d'essai à être équipée de panneaux laine. Le signe le plus impressionnant, c'est qu'au pas, elle claque de l'antérieur au sol quand elle est montée avec une selle à panneaux latex ; elle semble ronchonner en crispant l'encolure, et se retient dans ses allures. Mais sous des panneaux laine, elle se révèle. Elle est souple, le dos travaille, le galop prend une amplitude impressionnante, et surtout elle ne claque plus des pieds. Bingo !

Pour ce type de garrot / dos, les matelassures close contact ne sont pas le meilleur choix. Le latex, la mousse sont très bien quand le cheval a un dos « bien rempli », mais quand on en arrive à compenser avec des amortisseurs et compagnie... on perd tout le bénéfice du close contact.

Pause thé au club house où l'on fait le point sur les attentes du cavalier et les résultats de la séance d'essai du matin, quand on avise Dominique (Mme Michel Robert) sur une grande jument baie brune, Haïti, très aérienne, avec des jambes de ballerine. Thierry propose à Michel qu'on aille voir de plus près. Le changement le plus flagrant s'opère encore une fois sur la jument sellée avec des panneaux laine (placée plus en arrière que ce dont sa cavalière avait l'habitude). Dès que Haïti prend le pas, son expression change et elle s'étiiiiiiiiire le dos comme un chat. La locomotion s'étend, se libère, l'incurvation devient incroyablement facile alors que de l'aveu de Dominique, la jument est d'ordinaire très longue à mettre en route à main droite. Encore une fois un dos osseux, un garrot assez sorti et fort long : y a pas de secret ! Les panneaux laine restent la meilleure option, et pas de triche sur ce coup-là, tout le monde a été témoin du changement opéré.

Après le déjeuner dans un restaurant de campagne sympa tout plein, on retourne à l'écurie pour prendre les tracés des dos des différents chevaux que Michel et Dominique souhaitent équiper. Je me retrouve à tenir Oh d'Eole pendant que Thierry prend ses mesures et que Karine filme son travail. Oh est gentille tout plein, mais préfère aller coller son nez sur la caméra et dans les papiers de Thierry. Ca a beau être un cheval de Grand Prix, elle partage bien les mêmes gènes qu'un poney =)

Pendant ce temps, Michel est parti monter Catapulte, sa célèbre pie, avec la Arezzo. Il veut tester la selle sur des barres plus hautes, des combinaisons plus techniques. Évidemment la selle n'est pas adaptée pile poil, mais elle est correctement équilibrée – bien que Catapulte ait un dos différent de celui d'Oh, moins osseux, plus musclé. Quand on les retrouve dans la carrière, ils sont en train de sauter des barres que moi je préférerais passer dessous que dessus. Michel nous livre ses impressions : la jument a un geste beaucoup plus fluide à l'abord des barres. En tout cas, ce que l'on voit est joli, du rythme, de la justesse, c'est vraiment chouette... enfin c'est Michel Robert quoi. 

michel_catapulte

Pendant le GCT Chantilly 2011, photo Stéphanie Marlet

IMG_0508

Catapulte pendant l'essai

Evidemment, comme d'hab, le temps passe trop vite, et il est temps pour moi de partir voir un joli pur-sang arabe – la conscience professionnelle avant tout!

Deux conclusions à tirer de cette journée : 

1. En recoupant son travail, Thierry a déterminé qu'avec 3 selles, et quelques pads différents, on peut équiper correctement tout le monde. Comme quoi, pour un cavalier de plusieurs chevaux, il n'est pas nécessaire d'avoir autant de selles que de chevaux. C'est d'autant plus vrai dans le cas d'une seule discipline à haut niveau : souvent les chevaux ont des types morphologiques assez proches les uns des autres (un peu comme les marathon-men qui sont petits et secs, alors que les sprinters sont grands et balèzes). Le tout est d'avoir des selles avec des critères « cheval » différents, et des critères « cavalier » identiques, comme ça pas de lézard, le cavalier conserve son outil et ses habitudes, et les différents chevaux sont tout autant à l'aise. Le tout est de le faire en sachant ce qu'on fait et pourquoi...<

2. Le prochain modèle de la selle Prestige "Michel Robert" aura au choix des panneaux latex ou laine, en fonction du dos à habiller ; et un travail sera réalisé sur le siège, pour permettre une meilleure descente de jambes. Et moi j'ai carrément envie de le tester =)

Cette journée, c'est bien l'illustration que c'est en testant différentes solutions, en diversifiant les points de vue et en s'appuyant sur l'avis de professionnels qu'on peut faire évoluer son matériel, le confort de ses chevaux et donc, son équitation et ses performances. Et ça, Michel l'a bien compris. C'est ce qui, je crois, fait sa force au plus haut niveau : en perpétuelle recherche d'amélioration, et surtout une conscience aigüe que le bien-être du cheval est un préalable à la performance. Le jour où tout le monde pigera ça en France... bref, non, chut, je vais m'énerver et c'est pas bon pour ma tension =)

Quant à Thierry et moi, déjà, on était super contents que Michel Robert s'intéresse au saddle fitting, nous fasse confiance pour travailler sur ses chevaux (Oh d'Eole, quoi. Catapulte, quoi), et surtout d'avoir trouvé des pistes d'amélioration. On a trouvé ça vraiment chouette de voir que ce pour quoi on s'investit commence à vraiment trouver un relais dans les consciences, du cavalier du dimanche au cavalier olympique, de l'amateur au professionnel, et qu'on est capable d'en prouver les bénéfices par l'exemple.

En deux mots et un smiley : CHUI CONTENTE =)