Avant de commencer à vous raconter ma journée chez Stübben, je voudrais bien préciser qu'il ne s'agit pas d'un billet sponsorisé ou autre.
Je sais que j'ai déjà parlé de Stübben il y a quelques mois en traduisant les articles de Catherine Haddad, mais ce n'était pas voulu de parler de cette marque en particulier - ce qui m'intéressait à ce moment-là, c'était de partager l'avis le plus technique que j'ai pu lire sur la selle de dressage de la part d'une cavalière professionnelle internationalement reconnue. Moi, à l'époque, j'avais de Stübben la même idée que beaucoup de gens, basée sur les selles indestructibles et dures comme du bois, datant des années 70 et survivant encore dans quelques clubs : "banc de messe" est l'expression usuelle...
Et puis cet article de Catherine H. m'a donné envie, quand même, de me pencher un peu sur la question. J'ai découvert que tous les cavaliers qui montaient en Stübben ne juraient que par ça, et clamaient à qui voulait l'entendre qu'il n'y avait pas de retour en arrière possible, qu'une fois qu'on avait compris Stübben, c'était THE révélation.
Comment? pourquoi? vous vous doutez bien, il a fallu que j'essaie...
J'ai donc emprunté une dressage Genesis De Luxe, qui était pile à la bonne ouverture pour mon Billy. Ca manquait un peu de stabilité devant, il aurait fallu un peu plus de laine pour compenser son absence de muscles, mais grosso modo c'était bien. Pour moi, la selle n'était pas adaptée au niveau des quartiers et des taquets... mais par contre ce siège! j'ai adoré. Un arçon un peu flex (j'expliquerai le concept plus bas) qui laisse très bien passer les sensations, et ce Biomex, ce truc magique, quoi. Un petit coussin sous chaque ischion, avec la place entre les deux pour ne pas s'écraser l'abricot, le pied.
Poney premier de la classe bonjour
Donc voilà, cette selle d'essai n'était pas parfaite, mais elle m'a vraiment positivement étonnée. Alors quand Wilfried de Stübben France m'a proposé de participer à un séminaire au siège en Suisse, réunissant quelques cavaliers pro français, j'ai fait le tour de ma table basse trois fois en gambadant et j'ai répondu de mon ton le plus professionnel "grave, j'en suis".
Nous sommes donc partis en minibus Leclerc ce lundi 11 mars de l'an de grâce 2013, équipés de Haribo et de Werther's original, en direction de Stans, en Suisse. Une joyeuse équipée composée de Wilfried, le moniteur de la colo ; de Patricia, cavalière de dressage à Grenoble ; de Anneke, cavalière de dressage à Antibes et en Belgique aussi ; d'Eric et sa femme Marie-Annick, cavalier de CSO à Béziers ; de Virginie, coach équestre vers Salon de Provence ; et de moi, spécialiste en promène-mémère et saddle fitter à mes heures perdues. On a rejoint Fanny sur place, qui était venue toute seule depuis Paris. Et nous avons été accueillis par Franck Stübben en personne, le patron de Stübben Suisse.
Y a beau, la vue depuis l'atelier...
Stübben, c'est une histoire de famille. Aujourd'hui, ils en sont à la 4e génération de selliers, ça fait plus de 100 ans que ça dure.
A la base, ils sont allemands. Il y a deux Stübben : celui en Allemagne, pour le marché allemand (et néerlandais) ; et celui en Suisse, qui s'occupe du reste du monde (dont la France). Il y a également un troisième lieu de production, autrefois en Irlande, qui a déménagé en Espagne en 2008. En Allemagne et en Suisse, ils fabriquent les selles Stübben. En Espagne, ils fabriquent les accessoires, et les selles de leur marque "premier prix" Philippe Fontaine. C'est d'ailleurs l'un des rares "grands selliers" européens qui fabrique tout ce qu'il fait en Europe. Et c'est l'un des rares "grands selliers" européens qui dit ouvertement fabriquer son bas de gamme et ses accessoires dans un lieu où la production lui revient moins cher. Sans vouloir trasher personne (mais j'en vise quand même quelqus uns), c'est bien de jouer la carte de la transparence, en ces temps où nos lasagnes contiennent probablement un bout de poney shetland.
D'ailleurs cette transparence, cette honnêteté fondamentale, c'est quelque chose que j'ai beaucoup apprécié. Pas d'entourloupe commerciale, une grande qualité d'écoute, pas de clash du concurrent. La philosophie de la boîte c'est "tu montes en Stübben parce que tu aimes ta Stübben". Pas de blabla sur les grandes têtes d'affiches qui ont gagné 12000 titres (pourtant y a du beau linge parmi les afficionados, de la police montée canadienne à Jessica Kuerten), pas de dirty talk sur la concurrence, pas de démonstration marketing flamboyante (bon, faut quand même avouer que le show-room il en colle plein les yeux), mais voilà, ça reste simple, traditionnel, sobre. C'est ça, leur ligne marketing. Et faut dire que j'ai marché : j'aime les gens droits dans leurs Petrie*.
Donc on a commencé par papoter un peu, et ces gens qui montent bien à cheval ont expliqué pourquoi les selles Stübben. Je vous le donne en mille : parce que techniquement, c'est bien. Pour Patricia, ça a été une révélation, elle dit avoir complètement dû réapprendre à monter et qu'aujourd'hui, elle ne peut plus utiliser autre chose parce qu'elle n'a plus assez de réactivité. Anneke, elle, monte avec la Schultheis en dressage pour pouvoir être complètement libre de se placer où elle veut. Quant à Eric, il a remarqué un jour qu'une de ses juments de concours sautait mieux avec la vieille Stübben de débourrage utilisée de temps en temps qu'avec sa selle ordinaire ; il a donc été rencontrer le responsable Stübben, et lui a demandé pourquoi et comment se fait-ce. C'était au milieu des années 80, il n'a plus changé depuis.
Techniquement, l'arçon est unique. Il est fabriqué en France (cocorico) avec un arçonnier qui travaille exclusivement pour eux. Il est fait en fibres de carbone, très souples. Vous me direz "peuh! le carbone, c'est pas les seuls, ça n'a rien d'extraordinaire". Alors oui, mais non. C'est les seuls à le travailler comme ça.
Le fait qu'il soit en carbone, ça lui donne une grande élasticité, bien supérieure à celle d'un arçon traditionnel en bois lamellé-collé. Les renforts en acier façon "spring tree" font qu'il revient toujours dans la même forme. Le contraste entre les deux crée une tension, une dynamique très rapide, qui supprime les temps de latence qu'on a avec un arçon traditionnel, dont les matériaux sont plus inertes, ou dans un arçon synthétique, qui est plus mou. Là-dessus, ils rajoutent des bandes, en équilibrant bien la tension :
Ce sont les bandes qui supportent le poids du cavalier, et leur tension permet de donner la forme au siège. En fonction des modèles, elles sont tendues différemment d'avant en arrière ou de gauche à droite, selon des mesures précises, par rapport à ce que l'on cherche comme type de siège. Là-dessus, une couche de caoutchouc pour le confort, l'habillage en cuir, et roule.
Enfin non, pas roule, parce qu'entre la couche de caoutchouc (qui peut être doublé de mousse pour les Princesses au Petit Pois) et le cuir du siège, ils rajoutent deux inserts d'une mousse médicalisée très spécifique, qu'ils appellent Biomex. Enfin c'est pas eux qui appellent ça Biomex, mais la clinique de St Moritz, en partenariat avec lesquels ils ont développé cette technologie. Pour en savoir plus, allez lire ici. La façon dont cette mousse est posée sur le siège permet de stabiliser les ischions tout en libérant la colonne vertébrale, et comme dit plus haut, à tester, c'est vraiment bien. On sent pas le bénéfice immédiatement, mais après une heure le cul dans la selle (ou une demi-douzaine de chevaux dans la journée!) on se sent moins "tassé". Evidemment, si on monte H24 en équilibre, ça n'a pas grand intérêt...
Siège d'une Maestoso habillé, avec option Biomex
Alors y a aussi des histoires de cuir, dans ces selles. Du cuir suisse, tanné et préparé soit en Allemagne pour les plus robustes, soit en Italie pour les plus élégants. M. Stübben nous explique (dans son français parfait) comme ils découpent les différentes parties de la selle en fonction de la place sur la peau, et comment ils choisissent les peaux en fonction de ce qu'ils veulent comme pièce de la selle. Ainsi le cuir du quartier est bien plus épais que celui du siège...
Les coloris et différentes qualités des peaux employées par la sellerie
Le placard avec toutes les découpes pour toutes les pièces de tous les modèles de selle.
C'est comme des emporte-pièces à sablés de Noël, mais pour cuir et utilisés sous une presse mécanique qui t'aplatit la tête en 2/2.
Et puis après on a fait ma partie préférée : les matelassures! J'ai pleuré en voyant le mec qui était en train de rembourrer son panneau en sifflotant, il faisait ça tranquille, moi je suais à grosses gouttes en faisant ça. Un jour, peut-être...
[D'ailleurs j'ai toujours pas fait mon reportage "retape ta Kieffer", faut que je vous montre les photos!]
Bref, les panneaux chez Stübben, c'est laine only, sauf dans le cas de deux selles d'obstacle designées pour le marché français, la Zaria et la Portos. D'ailleurs, tu t'assois dedans, tu comprends pourquoi. Je sais pas pourquoi mais ma fesse française a eu une expression de reconnaissance en s'asseyant sur la Zaria, comme quand par hasard alors que t'es à Londres, tu manges une VRAIE baguette et tu te dis "ah plaiz, ça a pas le goût de caoutchouc". C'est marrant comme on a le cul patriote, quand même. Bref, pour le plaisir des Français, Stübben a fait deux selles à panneaux en mousse, mais pour tout le reste ils travaillent avec de la laine, et c'est tant mieux parce que c'est quand même vachement plus intéressant à bosser en fitting.
Après la visite des ateliers, direction le stock. J'ai failli emménager immédiatement sur place, tellement RHAAAAAAAAAA TROP BIEN DU MATERIEL D'EQUITATION PARTOUUUUUUUUUT!
De la bouclerie trop belle
Des strass pour les dresseuses
Une jolie islandaise
Et évidemment, des rangées de selles à n'en plus finir
Après un bon déjeuner (et un velouté de panais à se damner), on est retourné au show room pour détailler les spécificités de chaque selle. M. Stübben nous explique les bases de l'équilibrage (c'était pas très axé fitting cheval, mais c'était pas le but - cela dit, cheval comme cavalier, on peut demander exactement tout ce qu'on veut, un peu plus de rembourrage ici, un sanglage différent là...) et nous fait essayer différents modèles. Comme on a différentes morphologies de cavaliers, ça permet un peu de voir quoi correspond à qui, entre les longues jambes et les courtes cuisses, les Polly Pocket et les grandes asperges, y a moyen de se faire une idée. C'était vraiment intéressant. On a aussi causé Philippe Fontaine, accessoires, mors et bu du thé en mangeant des chocolats. Suite à quoi nous sommes remontés en bonne colonie de vacances disciplinée dans notre minibus du tonnerre, et on est rentré à pas d'heure, après un stop dans un McDo suisse hors de prix MAIS avec un McWrap qu'on a pas en France, et 1h de bouchons vers Lausanne. Et des belles montagnes enneigées au soleil couchant. C'était bien.
Le beau show room, partie junior!
La principale question que je me pose, c'est "pourquoi les accessoires Stübben sont-ils aussi prisés en France, et les selles aussi ignorées?" Pourtant, leur coeur de métier, c'est vraiment la selle, et ils y mettent un bon paquet de réflexion... en terme de conception, c'est quand même plus que correct, niveau qualité des matériaux c'est imbattable ; niveau prix, on a une selle adaptable à tous points de vue pour un budget compris entre 1700 et 3500€, soit une fourchette de prix basse par rapport au marché français.
Alors j'ai 3 explications :
1. la mode. C'est con, mais une selle designée par un sellier français a vraiment un look particulier, affiné, épuré, close-contact (merci les matelassures mousse), avec des jolies surpiqûres, et une fois qu'on l'a dans l'oeil on n'arrive pas à considérer autre chose. D'où le rejet des marques allemandes et anglaises, notamment. Ceux-ci sont plus dans la recherche de la qualité et de la durabilité (le veau français, c'est joli mais ça tient vraiment pas la distance), et travaillent avec des matériaux différents : elles ont un look plus robustes, moins sexy, mais souvent sont bien meilleures en termes d'adaptation. La Zaria et la Portos, les deux selles d'obstacle de Stübben en panneaux latex, elles sont françaises à la fesse. C'est marrant comme on s'éduque le postérieur. C'est moins vrai en dressage, parce qu'à une ou deux exceptions, les selliers français ne savent pas faire des selles de dress. D'ailleurs parlant de ça, ils vont sortir sous peu le modèle Aramis en dress, j'ai eu un petit coup de coeur dessus... hihi.
2. l'entretien. Je le répèterai jamais assez, mais DES PANNEAUX EN LAINE NATURELLE CA S'ENTRETIENT. Sinon ça devient dur et inconfortable, pour le cheval comme pour le cavalier. Il faut les faire reflocker de temps en temps, aérer la laine ou la remplacer si elle est devenue trop compacte et trop sèche (c'est le gras naturel des fibres de la laine qui leur confère leur élasticité).
Alors comme les seules vieilles selles qui subsistent dans les clubs sont des Stübben, parce que ce sont les plus solides niveau cuir, mais qu'elles n'ont pas été entretenues, donc sont devenues dures comme du bois, on fait l'association Stübben = mal au cul.
3. la technicité. L'arçon en tension donne une selle très technique, que les cavaliers novices auront du mal à utiliser. Un peu comme un jeunot qui sort de l'auto-école, on lui donne pas une Ferrari. C'est une selle qui OBLIGE à avoir une bonne assiette, parce qu'elle ne pardonne rien. Chaque défaut est amplifié, alors qu'avec une selle bien moelleuse dans laquelle on s'enfonce, les mouvements du cheval sont atténués, les fautes d'assiette aussi. Mais du coup on ne peut pas être avec le cheval correctement, on aura toujours un temps de décalage à cause de l'épaisseur et de la résistance des matériaux (le fameux "effet flan"). En réalité, la selle Stübben n'est pas tape-cul si on sait suivre le cheval. Elle est même, au contraire, très intéressante.
Mais ça c'est un problème français, étant donné qu'on n'apprend pas à utiliser correctement son assiette dans notre système éducatif de base (en Allemagne, par ex, beaucoup passent par la voltige avant de faire de l'équitation classique ; et on n'envoie pas un cavalier sur les barres sans qu'il n'ait un bon niveau sur le plat. CA c'est un système éducatif sensé!!!) bref, là je vais me mettre à faire de la politique, et c'est pas le but de l'article.
Bref. Je dis pas que j'ai une assiette parfaite, loin de là même, mais en testant la Genesis sur Billy, rien qu'au pas rênes longues j'avais eu des ressentis que je n'ai pas avec ma selle habituelle. Donc vous je sais pas, mais moi, tout ça m'a vraiment donné envie de réviser mon préjugé sur les bancs de messe et de tester ça de façon un peu plus approfondie. Parce que finalement, y a pas de politique marketing plus efficace sur les gens intelligents que "laissez le produit parler de lui-même... et donnez-lui une chance de le faire correctement" =) et j'ai envie d'être intelligente, nom d'un petit poney!
Merci bonsoir.
* marque néerlandaise de bottes de dressage.
Si un jour j'ai envie de changer de cremerie, on ne sait jamais et que mes fesses sont d'accord avec moi même pourquoi ne pas essayer