Alors non, j'ai pas prévu de faire ma vieille moralisatrice, rassurez-vous. Les discours façon "mamie Colette" un peu pompette au repas de dimanche midi qui commencent et finissent invariablement par "aujourd'hui les jeunes" et "moi, de mon temps", pas ma tasse de thé.

Non en réalité le sujet sur lequel j'ai envie d'écrire là, c'est une réponse à la question "pourquoi le saddle fitting AUJOURD'HUI". Et pourquoi pas hier d'abord? Est-ce que ça veut dire que les selliers d'autrefois ne savaient pas habiller les chevaux de nos parents? Non. Enfin, il y a eu des évolutions techniques peut-être, des changements de conception sûrement, mais dans le fond, les bons selliers restent les bons selliers, c'est-à-dire ceux qui regardent à quel cheval ils ont affaire avant de commencer à fabriquer.

Mais voilà, c'est précisément ce sur quoi je voulais discourir un peu : "à quel cheval on a affaire".

D'une part, il y a un changement de statut du cheval dans la société. Ce fut une bête de somme, une bête de labour ; mais aussi un moyen de transport, une arme de guerre, un instument de prestige ou une source de nourriture. Toujours destiné à un but bien précis. Un animal utilitaire, en fait. C'est pour ça qu'il a été rangé (et est toujours) dans la catégorie "bétail", d'un point de vue légal. Au contraire des animaux de compagnie.
Or aujourd'hui, les chevaux deviennent de plus en plus des animaux de companie (encore assez souvent des instruments du prestige social, bien plus rarement un moyen de transport ou un compagnon de labeur cela dit). Mais bref, on tend de plus en plus vers un cheval qui fait partie de la famille, comme un chat ou un chien. Et en tant que membre de la famille, on est soucieux de son bien-être physique et mental, de lui procurer une vie confortable. D'où l'abandon progressif des stalles au profit des boxes, par exemple. Mais aussi l'intérêt de plus en plus grand des gens pour ce qui fait de leurs chevaux des chevaux, leur "ethos" (oui on y vient). La démarche éthologique de façon générale ; quelle qu'elle soit, peu importe la façon dont elle est menée, elle part toujours d'un bon fond, d'une démarche de l'humain vers le cheval. D'où, enfin, l'expansion des soins aux chevaux : ostéopathie, shiatsu, voire communication intuitive.

Et saddle fitting donc, puisque l'idée qui préside à tout ça, c'est la recherche du confort du cheval dans le travail. Ce qui, même quand on réfléchit au cheval en terme d'instrument de prestige*, est tout bénef' puisqu'on va améliorer ses performances par la même occasion.

Mais il y a autre chose. Pourquoi le saddle fitting s'est-il développé il y a 30 ans au Royaume-Uni, et pourquoi en France on commence (avec beaucoup de retard, mais on y vient) à s'intéresser à la question? Parce qu'on galère avec des chevaux que les selliers de nos parents ne savent pas seller. C'est vrai : en France, on ne sait seller que les chevaux de selle de type français, si on regarde bien (à quelques exceptions).

La réponse est relativement simple, elle tient en un mot : MONDIALISATION. Ou internationalisation, du moins. C'est pas un gros mot, juste un constat. Glenn m'en avait parlé, et je viens de retomber sur le sujet dans un magazine anglais dont je vous traduis les paragraphes intéressants :

Ces deux dernières décennies, le saddle fitting est devenu une activité de plus en plus complexe.
D'une part, dans un passé relativement proche, chaque région possédait ses chevaux indigènes, et il y avait peu de mélanges ; alors qu'aujourd'hui, de nombreux croisements sont effectués entre différentes races et certaines races s'exportent énormément (suffit de regarder les modes : les arabes, les ibériques, les poneys anglais, etc.) En conséquence, les saddle fitters doivent avoir une connaissance et une compréhension bien plus vastes des différents morphotypes de chevaux auxquels ils sont confrontés.
D'autre part, le design des selles disponibles sur le marché est de plus en plus diversifié. Il y a toujours plus d'innovations, et les gammes de selles "spécialisées" fleurissent partout. De fait, les saddle fitters doivent se tenir constamment au courant de ce qui apparaît sur le marché, et avoir une excellente connaissance globale d'une offre toujours grandissante. Bien plus qu'il y a 20 ans - même 10 ans.
Sans parler du fait que les saddle fitters doivent avoir une bonne connaissance des différentes pratiques et disciplines équestres, et en comprendre les spécificités.

En me cantonnant au seul domaine de l'équitation classique, je réalise à quel point c'est vrai. Je galère actuellement à écrire un article sur le choix de la selle de dressage, une selle très spécifique, et pourtant il y a des dizaines d'options de conception rien que pour cette seule selle. Alors quand on doit aussi penser aux selles de saut, d'endurance, sans arçon, j'en passe et des meilleures, ça donne une idée. Sans parler des différences morphologiques et locomotrices entre un selle français, un oldenburg, un frison et un connemara. Et en mettant de côté aussi les connaissances en biomécanique tout court, ou même les méridiens de la médecine chinoise.
Bref trouver une selle pour un selle français en France, c'est relativement facile (s'il n'est pas trop infusé de sang étranger - encore qu'entre un descendant d'Almé et un descendant de Laudanum, qui ont tous deux beaucoup apporté à la race SF) on joue même pas sur le même tableau). Mais seller un lusitanien se révèle trois fois sur quatre une pure galère...

alme

Almé, c'est marqué dessus =)

laudanum2

Et Laudanum, qui fut pendant quelques temps sous la selle
(fittée ou non, l'histoire ne le dit pas) de Pierre Durand

Et c'est pour partout pareil d'ailleurs. Ainsi es selles western sont faites pour des chevaux de type américain (à quelques exceptions, comme les selles "arabian"). Et c'est pourquoi il est parfois impossible de seller certains chevaux avec ces selles parce qu'ils diffèrent trop morphologiquement, et que la forme, le style de la selle n'est pas prévu pour.

Bref tout ça pour dire, le saddle fitting c'est très compliqué, et c'est pour ça que c'est passionnant ;-)

 

*je mets derrière l'étiquette tous ceux qui n'aiment pas particulièrement les chevaux pour ce qu'ils sont mais pour ce qu'ils leur procurent en terme de prestige social, notamment les résultats en compétition.