Il y a un mois, quand j'ai traduit la série d'articles sur la muserolle depuis le site d'Eurodressage, Astrid Appels, la rédactrice de ce chouette webzine, m'a demandé, en échange des droits de traduction, des articles sur le saddle fitting. Dont voici le premier volet =)
On dit que François Robichon de la Guérinière est le père de l'équitation moderne. Pratiquement toutes les méthodes, tous les règlements de dressage d'aujourd'hui se réclament de son héritage.
Dans sa célèbre Ecole de Cavalerie, il dédie un chapitre entier à la selle, l'introduisant par ces mots : « Une selle mal ordonnée cause souvent des blessures si longues et dangereuses à un Cheval, qu’il est absolument nécessaire qu’un Cavalier en connaisse les parties, afin de la faire construire de manière à ce qu’elle ne cause point d’accident ; et de façon à apporter remède à ceux qui arrivent quelquefois malgré les précautions qu’on a prises. La connaissance des différentes sortes de selles et de leur usage ne lui est pas moins nécessaire ».
Quand un cavalier a un problème de comportement ou d'équitation, un enchaînement de mauvaises performances, il pense rarement que la selle peut en être la cause. Il pensera plutôt que le cheval est mauvais, que le mors n'est pas assez fort, ou que le coach n'est pas assez technique. Mais il ne pense pas qu'une selle mal adaptée peut générer ce type de problèmes.
Un cheval qui rue au départ au galop peut agir ainsi parce que la selle lui écrase les reins. La ruade est alors un moyen de dire "aie! j'ai mal!" Ce n'est donc pas, dans ce cas, un problème de soumission - à moins que l'on considère que la soumission du cheval doit être complète au point qu'il se la ferme et souffre en silence.
Un cheval qui ne reste pas sur la main et creuse le dos lors de l'incurvation peut agir ainsi parce que la gouttière de la selle est trop étroite et l'empêche de s'incurver correctement. Ce n'est donc pas un problème de dressage ; mais peut-être qu'on préfère forcer l'incurvation et l'attitude, au point de causer des dorsalgies.
Si on ne pense pas à l'adaptation de la selle au cheval, on peut en arriver au point où, comme l'écrit La Guérinière, la selle va causer de sévères problèmes au dos du cheval. Je ne pense pas qu'un cheval doive souffrir à ce point. Je ne pense pas qu'un cheval doive souffrir du tout, en fait.
- Pourquoi avoir une selle adaptée?
La selle est la principale interface de communication entre le cavalier et sa monture. On peut avoir la meilleure main du monde, l'assiette la plus sensible, les jambes les plus efficaces ; si la selle ne permet pas au cavalier de communiquer clairement avec le cheval, le but du dressage ne sera jamais atteint. Bon, ça dépend ce qu'on pense être le but du dressage, mais pour moi c'est d'atteindre le niveau où les indications sont si subtiles qu'on dirait que le cavalier ne fait rien, et que le cheval ne fait que danser avec lui. Je suppose que je ne suis pas la seule à apprécier le dressage en ce sens.
Pour cela, la selle doit être adaptée au couple, cheval comme cavalier.
En réalité, je pense que la selle doit d'abord aller au cheval, puis au cavalier, et ce pour deux raisons : 1. Le cheval n'a pas son mot à dire dans ce qu'on lui impose sur le dos ; c'est donc une marque de respect de lui trouver une selle qui ne le pince pas, ne crée ni frottements douloureux, ni blessures. Et 2. si la selle n'est pas équilibrée sur le dos du cheval, comment le cavalier peut-il trouver son propre équilibre?
La selle doit bien évidemment convenir au cavalier : on ne peut pas monter correctement avec une selle trop petite, trop creuse ou trop large. J'y reviendrai dans un second article, concentrons-nous sur le cheval pour le moment.
Le saddle fitting, c'est seulement une affaire de bon sens et de logique. C'est de la géométrie de base, avec une pincée de "sens du cheval", le tout saupoudrée de connaissances biomécaniques.
- Où placer la selle, et son impact sur la structure du dos?
Avant tout, il faut savoir comment est fait le dos d'un cheval, et comment la selle interagit avec lui. La selle repose sur la cage thoracique et les muscles dorsaux.Règle n°1, qui ne doit jamais être transgressée : la selle ne doit pas toucher la colonne vertébrale. La colonne vertébrale est une structure très complexe, faite d'os, de nerfs et de ligaments, qui peut être facilement blessée. L'incurvation latérale et la flexion longitudinale existent, même si elles peuvent apparaître minimes. La selle doit donc laisser de la place pour que ces mouvements s'effectuent, c'est pourquoi une selle est équipée d'une gouttière. Sa largeur et sa profondeur dépendent de la conformation du dos. Sur un dos osseux et étroit, elle devra être plutôt profonde. Sur un dos large et plat, elle devra être moins profonde, mais plus large. A mon sens, elle doit faire au moins 4 doigts de large (entre 8 et 10cm).
A l'avant de la selle, deux zones doivent être dégagées.
En premier lieu, le garrot : tout le monde sait à quel point c'est facile de trouver des plaies de harnachement à cet endroit, et à quel point c'est long à guérir (les plaies peuvent être causées par la selle, mais également par le tapis de selle ou la couverture). La selle doit laisser la place pour passer 3 doigts entre le sommet du garrot et le pommeau (environ 5 6 cm) et deux doigts de chaque côté. A moins de 3 doigts entre le garrot et le pommeau, la selle est probablement trop large et bascule vers l'avant. Plus de 3 doigts, il est probable qu'elle soit trop étroite, et a l'air d'être perchée sur le dos au lieu d'en épouser les contours. Ces notions sont théoriques et doivent être modérées en fonction de la morphologie du cheval : ainsi sur un garrot noyé, on peut parfois passer 4 ou 5 doigts, et la selle sera pourtant adaptée. Ce que l'on veut éviter, c'est une selle qui appuie sur le haut du garrot, ou dont les pointes de l'arçon compriment les trapèzes.
En deuxième instance, l'omoplate. Quand le cheval lève un antérieur, l'omoplate a un mouvement de rotation vers l'arrière. Si la selle est placée trop en avant, elle bloque ce mouvement et engendre des allures étriquées et un équilibre détériorié. La selle devra être placée 2 à 3 doigts derrière le haut de l'omoplate, à moduler en fonction de l'amplitude du mouvement de l'antérieur et de la construction de l'épaule (plutôt droite ou oblique). Sur certains chevaux, le recul est parfois très important : dans ce cas, il faut faire ajuster le panneau de sorte à ce que la tête de la scapula puisse se mouvoir librement.
A l'arrière de la selle, le cavalier doit se soucier de la région des reins et des vertèbres lombaires. La selle ne doit pas être trop longue, et ne doit pas dépasser la dernière paire de côtes. La forme de l'arrière des panneaux doit être conforme à la forme du dos du cheval : on n'utilise pas le même type de panneaux sur un dos plat que sur un cheval fait en descendant, avec la croupe plus haute que le garrot.
Petit schéma gribouillé rapidement : les lignes verts sont les limites à ne pas dépasser, le rose représente la surface portante avec une selle anglaise.
- A quoi faut-il faire attention?
J'ai entendu des choses très bizarres sur les selles de dressage, l'une d'entre elles étant qu'elles pinçaient les épaules et en réduisaient l'action. En réalité c'est le contraire qui se produit : le design de la selle de dressage est ainsi fait qu'il permet de dégager l'épaule. Ces quartiers verticaux ont en revanche des panneaux qui descendent + bas qu'une selle de saut, ce qui peut être l'explication à cette superstition populaire...
La selle joliment "fittée" d'Alphaville, médaille de bronze aux derniers Jeux Paralympiques pour les Pays-Bas.
Copyright Bliss of London Ltd.
Le coeur de la selle, c'est l'arçon. Son but est de répartir les pressions sur le dos, et de dégager la colonne vertébrale.
Il peut être fait de façon traditionnelle (en bois lamellé / collé, renforcé de bandes d'acier) ou moderne (en plastique, carbone, Kevlar...). Quel qu'en soit le style, il doit convenir au dos du cheval de deux façons : l'ouverture de l'arcade de garrot, et la forme générale. Pour les arçons traditionnels, on peut rajouter l'orientation des bandes latérales. On n'utilisera pas le même type d'arçon sur un cheval au dos creux et un cheval au dos plat. Un cheval au dos creux a besoin d'un arçon plus courbé. Les bandes latérales seront plus ouvertes sur un dos large, avec un angle plus resserré sur un cheval au dos "pointu".
C'est tentant d'utiliser un arçon souple et flexible, pour que la selle puisse suivre les mouvements du dos. Attention! si l'arçon est trop flexible, il engendre un effet de frottement, ce qui n'est pas confortable du tout. La résistance de l'arçon à la flexion, son élasticité dépendent du cavalier (on y reviendra).
Etant donné qu'il est le squelette de la selle, si l'arçon ne va pas, on est bon pour changer la selle. Souvent, ça coûte plus cher de changer l'arçon que de racheter carrément une selle...
Si vous avez une selle dont l'arcade de garrot peut être ajustée, vous avez un peu plus de chance. Les arçons en plastique peuvent être thermoformés ou réglés avec un étau, s'ils sont faits d'un matériau qui autorise ces déformations. Pour plus de détails à ce sujet, consultez directement le fabricant, il vous dira précisément ce qui peut être fait sur votre selle. Vous pouvez également changer l'arcade de garrot sur certains modèles, ce qui est très pratique - surtout dans le cas de jeunes chevaux qui changent très rapidement de morphologie (je souligne ce point de détail : la croissance osseuse d'un cheval n'est jamais définitive avant sa 7e année).
Jack est un KWPN qui concourt en dressage.
A 5 ans, en 2010 (photo n°1), il était monté avec une selle en "hoop tree" (arcade arrondie) ;
à 7 ans, en 2012 (seconde photo), l'arçon a dû être changé pour un arçon "warmblood"
parce que son garrot était sorti beaucoup plus fortement.
Ayez cependant conscience que l'arcade de garrot interchangeable ou ajustable ne fait pas tout. Ca aide à ajuster la selle, certes ; mais ce serait bien trop simple si l'adaptation générale de la selle était contrôlée uniquement par ce paramètre. Cela change l'avant de la selle, et influe sur l'équilibrage. Mais ça ne change rien à la forme globale!
Les panneaux sont le second paramètre important. A l'inverse de l'arçon, vous pouvez les changer assez facilement. Enfin, vous ne pouvez pas le faire, mais votre sellier peut.
Ils servent à soulever l'arçon par rapport au dos, et jouent un rôle d'amortissement (ce qui me laisse d'ailleurs très perplexe quant à l'adjonction systématique d'amortisseurs - on en reparle). Ils peuvent être fait en mousse, en laine ou remplis d'air.
La laine est le rembourrage traditionnel : elle est souple, et s'ajuste pratiquement d'elle-même aux petits reliefs du dos du cheval. Mais elle a besoin d'être suivie régulièrement par un professionnel qualifié, puisqu'elle se détériore relativement rapidement. C'est un matériau excellent, surtout quand elle est naturelle, parce qu'elle est repirante, et absorde la chaleur et l'humidité.
Un sellier en train de travailler la laine d'un panneau
La mousse est un matériau plus durable, mais plus ferme ; elle ne s'ajuste pas au dos comme le fait la laine. Et elle n'est pas du tout respirante. La mousse à mémoire de forme s'adapte mieux, mais est très dure en hiver. Modifier un panneau en mousse est plus compliqué que modifier un panneau en laine, c'est pourquoi on recommande les panneaux en mousse pour des chevaux dont la conformation physique est quasiment définitive, dont la condition physique est très surveillée, et qui travaillent régulièrement.
L'air est intéressant pour ses propriétés amortissantes, et certains chevaux et cavaliers sont très contents avec ce système. On ne peut pas ajuster des des panneaux Cair, mais des panneaux équipés du système Flair peuvent être gonflés et leur pression mesurée au moyen d'une pompe spéciale. Cependant de nombreuses personnes disent de ces panneaux qu'ils donnent l'impression d'être assis sur un ballon, et que les sensations qui viennent du cheval sont brouillées.
Viennent ensuite la sangle, et la position des contre-sanglons.
La forme de la sangle et l'emplacement des contre-sanglons sont déterminées par la conformation du cheval. Le passage de sangle peut être étroit ou large, plus ou moins proche des antérieurs, plus ou moins marqué. Il dépend également de l'angle de l'épaule, vertical ou oblique ; et de la forme de la cage thoracique, plus ou moins arrondie. Si l'épaule est très oblique, le passage de sangle étroit et avancé, le ventre rond : vous êtes dans la merde.
La disposition des contre-sanglons peut être de multiple nature : ils peuvent être verticaux, en Y, partir de la pointe ou du centre de l'arçon. Ils sont ainsi utilisés pour équilibrer la selle sur le dos. Si votre cheval a une épaule oblique par exemple, il vaut mieux utiliser un sanglon qui part de la pointe de l'arçon pour garder la selle derrière l'omoplate.
Sangle courte, sangle longue : cela dépend du design de la selle et de la longueur des contre-sanglons. En dressage, les contre-sanglons longs sont populaires car ils permettent au cavalier de ne pas avoir les boucles de la sangle sous la cuisse, et autorisent ainsi un meilleur contact de la jambe. Si la selle n'est pas monoquartier, on peut rajouter un long sanglon sur le quartier supérieur pour le plaquer au faux quartier et éviter qu'il ne bouge.
Et enfin, les différents tapis, pads et amortisseurs.
Le choix du tapis de selle est très important (et pas seulement au niveau de la couleur ou des motifs). Une selle employée avec un fin tapis en coton aura une adéquation au dos du cheval totalement différente si utilisée avec un gros tapis moëlleux sur lequel on rajoute un amortisseur en mouton.
Assez souvent, les gens ont tendance à penser que plus ils mettent d'épaisseurs entre la selle et le dos, plus la selle va être confortable pour le cheval. Si on suit ce même raisonnement, on rendrait ainsi une paire de chaussures en cuir neuves et raides plus confortables en rajoutant de grosses chaussettes de laine. On sait tous que c'est faux : tout ce qu'on va gagner, c'est des ampoules, voire des crampes affreuses aux jambes et un sacré mal de dos. Ben c'est pareil pour les selles et les tapis. Ce qui rend une selle confortable, c'est son adéquation au dos qu'elle habille. Si elle va parfaitement sur un dos nu, placer plusieurs épaisseurs en dessous la rendra trop étroite. On doit faire très attention à ça en choisissant amortisseurs et tapis. Si la selle est adaptée, si les panneaux sont rembourrés correctement et avec de bons matériaux, il n'y a pas besoin d'ajouter un amortisseur. Ca me fait toujours sourire quand les gens me disent rechercher une selle monoquartier à panneaux fins pour être au plus proche du dos, et comptent ajouter 36 épaisseurs en-dessous. Contradiction bonjour!
Si le dos a une forme assez particulière, on peut employer un pad correcteur. Par exemple, sur un cheval dont les épaules sont fortement assymétriques, on peut corriger en ajoutant des petites cales en mousse du côté faible pour que la selle et le cavalier restent équilibrée. Quand, au fil de son entraînement, le cheval retrouve sa symétrie, on retire les cales.
Parfois, le cavalier utilise un amortisseur non pour le dos du cheval mais pour son propre confort. Je ne comprends pas non plus : pourquoi ne pas utiliser un amortisseur SUR la selle, plutôt que de prendre le risque d'altérer l'adaptation de la selle au cheval? OK, c'est pas très esthétique. Mais si l'esthétique doit primer sur l'efficacité, on ne s'en sort plus.
Attention, enfin, à la forme du tapis de selle. Choisissez-en un qui dégage vraiment le garrot (pas un dont la couture est toute droite), et qui soit suffisamment long, plus long que la selle. S'il est trop court, la selle repose sur les coutures et les galons, ce qui est hautement inconfortable et peut provoquer des frottements parfois assez importants pour blesser le cheval.
La selle Paramour de Jack (Bliss of London), avec un tapis de selle parfaitement coupé.
Le mot de la fin : méfiez-vous des modes. Les selles, les sangles, les tapis : tout ce qui existe existe parce qu'il a une utilité précise et répond à un problème spécifique. N'utilisez pas quelque chose que vous avez vu un coup à la télé, et que vous avez trouvé "trop beaaaauuuu". Avant d'acheter, renseignez-vous...
Sources :
Ecole de cavalerie, François Robichon de la Guérinière
The pain free back and saddle fitting guide, Dr Joyce Hartmann
Saddle Fitting : the inside journey (http://saddlefitter.blogspot.fr/)
Sustainable dressage : the saddle (http://www.sustainabledressage.net/tack/saddle.php)
Equimetric (http://www.equimetric.ch/)
Remerciement particuliers à Glenn M. Hasker, SMS saddle maker and saddle fitter ; et à Nikki Newcombe, de Bliss Saddlery LTD.