La genèse de l’histoire, c’est que via Alix, une de mes lectrices que j’avais été voir avec Aurélie d’AAJ Saddlery pour des histoires de selles western, j’ai rencontré Tasmin. Tasmin est ostéopathe équin dans le Beaujolais, et en plus d’être ostéo, elle aide les gens dont les chevaux posent des problèmes de comportement. Elle est à moitié anglaise et rigole tout le temps : bref, elle est cool. Et ça fait longtemps qu’elle travaille avec Véronique de Saint Vaulry, niveau comportementalisme. Je me suis dit « waw, la chance », parce que Madame VSV, ce que j’ai lu de ses livres m’a énormément plu (je le confesse, je n’ai pas tout lu, bouh). De la simplicité, du bon sens, des clés pour comprendre son cheval. De l’éthomagie sans le marketing à paillettes. Juste : écoutez, observez, réfléchissez, agissez.
Bon et en plus, d’être l’auteur de 5 livres écrits avec style et pédagogie, d’être une des pionnières françaises du comportementalisme équin, elle a été vice-championne d’Europe en TREC, elle sculpte, elle peint, elle fait des photos, bref, elle est comme Tasmin : elle est cool =)
Tasmin a donné le lien de mon blog à Véronique, qui m’a écrit pour me féliciter. C’était un peu comme recevoir la Légion d’Honneur, la cérémonie kitsch en moins. J’étais super flattée. Et puis on s’est dit qu’il fallait qu’on se voie, donc on a trouvé une date, c’était le week-end du 21 octobre. Et j’en ai ramené une interview, rien que pour vous.
[alors, là, il faut imaginer qu’on est au petit-déjeuner, que j’ai le nez dans mes tartines beurre-confiture de framboises faite maison, que Véro est perchée sur un meuble de cuisine avec son bol de café et que le gros berger australien Touco nous guette depuis la fenêtre]
Véro, merci pour les tartines. Sans transition, t’es plutôt quoi, toi, comme genre de selle ?
Je pratique le dressage et l’équitation d’extérieur. Donc je privilégie une selle qui fait les deux ! En gros, il faut que le siège soit un peu creux pour guider ma position (j’ai du boulot à faire à ce sujet !), par contre pas trop de taquets… mais des taquets quand même, qu’est-ce que j’ai pu perdre comme points en TREC à cause d’une selle sans taquets ! J’avais les genoux qui se baladaient franchement, donc la note de style s’en ressentait, dans les pentes et à l’obstacle.
Un autre point très important, c’est l’arçon rallongé derrière de sorte à former un pont de sacoches : indispensable quand on veut rajouter de la bagagerie ! [ce qui me fait penser qu’on m’a demandé un article sur la selle de randonnée, qui viendra plus tard c’est promis. Me demandez pas quand, j’en sais rien J cordialement,]
Et le fitting alors ? comment tu en es venue à t’intéresser à ce sujet ?
Mon vieil Alto (ZE vice-champion d’Europe en TREC en 1993, qui a aujourd’hui 27 ans) s’est mis à présenter des zones de poils blancs diffus sous la surface portante de la selle (pourtant achetée neuve pour lui, avec photo du garrot, du dos, etc.), et se méfiait au moment où j’approchais la selle de son dos. J’ai eu une prise de conscience progressive, en fait. Seulement, à l’époque, il n’y avait que très peu de publications sur le sujet, même dans les livres des grands cavaliers – on disait juste « il faut une selle qui va au cheval ». Alors je me suis mise à écrire la même chose dans les éditions de mes livres de l’époque : « privilégiez une selle qui va au cheval », mais sans pouvoir en dire bien plus, parce que moi-même je n’en savais pas plus.
La question est restée en suspens jusqu’en 2005, quand j’ai reçu un coup de fil de Simone Ravenel, (rencontrée en Trec), une ingénieur en Suisse qui était cavalière et se reconvertissait dans l’ostéopathie. Elle m’a parlé de son projet de mesurer les pressions et d’évaluer l’adaptation de la selle au moyen d’un tapis à capteurs de pression. Là, j’ai dit Bingo ! et j’ai commencé à suivre de près le projet Equimetric.
Peu de temps après, une copine française, Annette Rancurel, s’est mise à faire la même chose en région parisienne, avec un tapis encore plus perfectionné. On a alors beaucoup échangé, travaillé ensemble. C’est une chercheuse-née, qui est en train de réunir et d’analyser une quantité de données hallucinante.
Car le fait de posséder un tapis à capteurs n’est qu’un (coûteux) point de départ. Il faut développer une expertise impressionnante pour analyser les mesures et évaluer les solutions… Je pourrais passer des journées entières à écouter Simone ou Annette me raconter leur boulot ! Sauf que du boulot, elles en ont tellement que ce n’est pas facile de les attraper !
Je suis aussi tombée, ces années-là, sur les publications (en anglais) sur Internet d’une cavalière de dressage, Theresa Sandin, qui m’a aidée à réfléchir à la chose. [NDR : c’est le super site http://www.sustainabledressage.net/ dont parle Véronique ; Theresa a écrit une page extraordinaire sur la selle de dressage : http://www.sustainabledressage.net/tack/saddle.php. Je dois avouer que moi aussi ça a été l’une des premières publications que j’ai lues au sujet du saddle fitting, et ça m’a vraiment aidée à piger le concept.]
Maintenant que tu as trouvé des réponses à tes questions, comment tu « vis » le saddle fitting ? (c’est un peu too much comme formulation non ?) non, non, ça me paraît adapté J
Pendant trop d’années, j’avais très peur de faire mal au dos de mes chevaux avec une selle mal adaptée, alors du coup, comme je faisais essentiellement de petites séances de dressage, je montais à cru (rassurée par les tests de Simone sur le sujet)… mais avoir une selle adaptée, surtout en extérieur, c’est quand même mieux.
Aujourd’hui je monte vraiment très peu, je me consacre à la sculpture, la peinture, et surtout l’écriture, (je viens de finir la 5ème édition de mon livre Le Cheval d’extérieur, dans laquelle j’insiste lourdement sur les problèmes d’adéquation des selles, comme dans toutes les versions récentes de mes livres). J’ai pu faire tester deux de mes selles pour deux de mes chevaux par Simone Ravenel et Annette Rancurel avec leurs tapis à capteurs, ça m’a donné une idée de quelle selle mettre sur quel cheval… Par exemple ma Forestier TREC va plutôt bien à Alto s’il n’est pas trop en muscles ! Mais ma Wintec de dressage, qui convient à Hexane (arcade d’arçon bleue…), laisse des poils « frisottés » sur le dos de ma Rajada (qui n’a pas encore été testée, car pas débourrée à l’époque).
Quant à l’ânesse Mica, j’avais fait un plâtre de son dos pour lui adapter une Mc Lellan sur mesure (la résine, ça se travaille très bien !). Un dos d’âne (ou de mulet), c’est toute une histoire… Y a pas une selle pour chevaux qui puisse convenir.
Moi-même je possède un Impression Pad, ce truc en pâte à modeler rouge que l’on place entre la selle et le dos, et qui agit un peu comme un pad en pâte à sel(le). C’est pas mal, je m’en sers de temps en temps pour mes élèves. Car désormais, lors de mes stages, quand j’observe des soucis de comportement sous la selle, je me pose toujours la question de savoir s’il n’y a pas un problème du côté de l’équipement ! Le nombre de chevaux qui sont pris pour des rétifs, alors qu’ils disent simplement « aïe, tu me fais mal » et qui cherchent à se protéger de la douleur… Ce serait trop dommage de chercher des solutions éducatives là où il s’agit d’un problème physique. Soigner la cause est drôlement plus utile que de bosser sans fin sur les conséquences…
Et les cavaliers à qui tu dis que ça ne va pas, comment ils réagissent ?
La prise de conscience est très difficile à faire naître, surtout chez les cavaliers de bon niveau qui ont investi dans une selle chère et sur mesure. Forcément, ça les embête de savoir qu’il y a un gros doute ! Et puis, difficile d’accepter l’idée qu’on s’est « trompé » pendant aussi longtemps quand on est pro. Mais petit à petit, les mentalités évoluent…
En tout cas je suis très contente que le saddle fitting se développe enfin. Je me demande quand même dans quelle mesure ce métier va évoluer, il y en a très peu pour l’instant, mais il est probable que ça va faire comme en équitation éthologique : tout le monde va vouloir s’y mettre, mais des vrais bons, il n’y en aura pas beaucoup… On aura des améliorations, on pourra rectifier les grosses catastrophes, mais rien ne garantira la perfection !
C’est clair que le tapis à capteurs de pression est, pour le coup, un outil précis et précieux ; mais son coût est exorbitant, il est très fragile… les séances avec cet outil sont hors de portée des plus petits porte-monnaie, il y a très peu d’intervenants, donc c’est bien qu’il y ait une solution à mi-chemin.
Je suis bien d’accord avec toi… tant qu’on n’aura pas d’association ou d’institution garantissant la qualité des intervenants, ni de cursus de formation bien établi, ce sera très difficile d’avoir une qualité de service globale suffisamment élevée pour continuer à sensibiliser les cavaliers.
Merci Véronique pour les tartines, pour le dîner hier soir, pour ton accueil et ta gentillesse !