Voici la traduction d'une série d'articles passionnante publiée sur le site Eurodressage.com et écrite par Silke Rottermann, qui traitent de la muserolle. Cette pièce de harnachement a fait couler bien de l'encre ces derniers temps par l'inventivité des cavaliers à combiner des bouts de ficelles dans tous les sens pour mieux clouer le bec de leurs montures... mais j'ai pas commencé que tout le monde aura déjà deviné mon point de vue sur la question ;-) alors pas un mot de plus de ma part, commençons.

A-Gentleman-on-a-Grey-Horse-in-a-Rocky-Wooded-LandscapePendant des décennies, la muserolle n'a pas particulièrement été matière à discussions dans la presse équestre internationale, mais ces derniers temps, cette petite partie en cuir de la bride a fait les gros titres, et malheureusement, pas pour de bonnes raisons. Souvent trop serrée en dressage, placée trop bas dans les compétitions poney, la muserolle a souvent été employée à mauvais escient, soit pour masquer des problèmes de dressage, ou juste par simple ignorance.

Ceci soulève une question justifiée : pourquoi vérifie-t-on la muserolle d'un cheval de Grand Prix après sa reprise plutôt qu'au début de son échauffement? La Société Internationale de Science Equestre a amené le sujet de la muserolle mal employée sur le devant de la scène. En plus de jeter du discrédit sur l'usage de la muserolle, ceci souligne surtout des tendances alarmantes dans le monde du dressage, même au plus haut niveau.

Pas de muserolle sur la bride de ce cheval du 18e siècle.
"A Gentleman On A Grey Horse" par George Stubbs (1781)

La muserolle au coeur des débats

C'est bien que l'usage massif et abusif de la muserolle soit mis en lumière, pour le bien-être des chevaux. La rédac' chef d'Eurodressage, Astrid Appels, a déjà écrit sur le sujet dans un de ses éditoriaux très remarqué : "A slip of the tongue" en Juin 2011. Alors que les esprits critiques soucieux du bien-être des chevaux sont souvent appréciés quand ils s'expriment posément, ils sont souvent étouffés par les voix fanatiques de ceux qui condamnent tout usage de la muserolle quelle qu'elle soit, et considèrent qu'il est cruel d'en mettre une à son cheval. Ils simplifient à l'extrême et noient le poisson en déclarant que de toute façon, monter sans muserolle est la meilleure façon de déterminer quels sont les meilleurs cavaliers, ceux avec un contact léger, idéal... et ceux qui ne le sont pas.

Comme pour tout en ce bas monde, entre "tout noir" et "tout blanc", il y a de nombreuses nuances de gris ; il en est de même en ce qui concerne la muserolle. Pour ce "Spécial Muserolle", nous allons donc balayer le sujet sous ses différents aspects et plutôt que de se concentrer uniquement sur ce qu'une muserolle fait à un cheval, nous allons également rechercher dans les origines de cette pièce de harnachement, dans son histoire et son évolution, ce qui fait qu'elle peut être utile au cours du dressage d'un cheval.


L'évolution de la muserolle au fil du temps

51-federico-grisoneL'on dit que bien longtemps avant que les humains placent les premiers mors, faits de bois ou de fer, dans la bouche des chevaux, ils utilisaient la sensibilité de l'os nasal pour contraindre ces puissants animaux. Environ 7000 ans avant JC, les conducteurs de chars utilisaient des muserolles qui ressemblent à ce que l'on appelle aujourd'hui "muserolle allemande", placée si bas qu'elle comprimait les naseaux si l'on tirait sur les rênes, au point d'empêcher le cheval de respirer. C'est comme ça qu'ils arrêtaient les chevaux. Sur des sculptures perses plus récentes de 1000 ans, pour la première fois on représente les chevaux "en main", avec une ligne du dessus arrondie et le chanfrein à la verticale. Les chevaux utilisés étant de lourds et puissants étalons et que le mors à gourmette n'avait pas encore été inventés, les experts supposent que les muserolles représentées étaient dentelées à l'intérieur pour contrôler les chevaux et avoir un effet abaisseur.

Gravure : Federico Grisone

Au 16e siècle, quand l'Italie devint le coeur du monde culturel et artistique occidental, les chevaux peints à cette époque étaient toujours lourds et puissants ; les hommes employaient donc toujours la force pour les rassembler, malgré l'invention et le perfectionnement de la gourmette entre l'époque des Perses et la Renaissance.

Des mors à gourmettes et hauts passages de langue ainsi que la "careta" (une muserolle dentelée sur lesquelles étaient attachées les rênes, ancêtre de la serrata espagnole actuelle) permettaient de contenir les chevaux. La muserolle n'était pas toujours dentelée, parfois elle n'était qu'un simple morceau de cuir plat. Le célèbre écuyer Federico Grisone avait, paraît-il, mis au point un système appelé "capezona", qui consistait en une muserolle coulissante à laquelle était attachée des rênes, et lorsque l'on ajustait ses rênes, la muserolle se resserrait.

12_france_bits_0_01La muserolle que nous connaissons aujourd'hui est une pièce de harnachement plutôt récente, dérivée du caveçon que l'on utilise toujours en longe, au travail en main et même parfois sous la selle. La muserolle la plus simple est celle que l'on peut voir dans l'Ecole de Cavalerie de François Robichon de la Guérinière, mais on a pu la voir représentée sur des peintures antérieures. C'est un simple morceau de cuir rattaché de part et d'autres aux montants du mors. La Guérinière n'en parle pas particulièrement, ni de sa conception, ni de son but. Par contre, il écrit comment un cavalier peut trouver le bon mors pour son cheval, en expliquant les actions des différents mors et la façon dont ils agissent par rapport à différentes bouches [La Guérinière faisait du "mors fitting"!!!]

Il ne dit pas un mot de la muserolle qui est représentée, parce qu'il semble tout simplement qu'elle ne soit d'aucune importance et n'ait d'autre but que l'esthétique. Par contre, il insiste bien sur le fait que ce qui fait la sévérité ou la justesse du harnachement, ce sont les mains et l'éducation du cavalier. Sans ces points capitaux, le meilleur harnachement du monde ne sert à rien.

Ce sont ces paroles si sages qui ont aujourd'hui bien changé. La muserolle simple que l'on voit sur les planches de l'Ecole de Cavalerie existent toujours sur les brides de show, elle sert toujours uniquement à décorer. Mais pour le reste... 

 Planche de différentes brides et mors dans l'Ecole de Cavalerie de François Robichon de la Guérinière

La muserolle allemande comme standard?

La muserolle qui, peu après son invention, a fait fureur un peu partout et jusque dans les années 1970, c'est ce que nous autres Français appelons la muserolle allemande. Les Anglais l'appellent "dropped noseband" (muserolle abaissée) et les Allemands "muserolle hannovrienne".

burkner-spionElle a été inventée au 19e siècle par Ernst Friedrich Seidler, un entraîneur allemand qui travaillait à l'Ecole Espagnole de Vienne sous la tutelle du légendaire chef écuyer Maximilian von Weyrother. En se basant sur le caveçon traditionnel, il mit au point cette muserolle et la nomma d'après la grande école de cavalerie allemande d'Hannovre, où il travaillait également.
Bien que n'étant pas simple à régler correctement, cette muserolle a été très employée avec un filet simple pendant des décennies et a intégré le harnachement traditionnel de l'Ecole Espagnole de Vienne. On la voit lorsque les chevaux sont présentés en main, aux longues rênes ou sur de jeunes étalons présentés en filet simple. L'Ecole Royale Andalouse de Jerez de la Frontera l'utilise également avec un filet simple ou au travail en main.

Felix Burkner (1883 - 1957), en selle sur le Trakhener Spion, avec une muserolle allemande

La muserolle combinée (que l'on appelle "flash noseband" en anglais, mais aussi "Aachen noseband", littéralement "muserolle d'Aix-la-Chapelle") est aujourd'hui sans aucun doute la plus populaire chez les cavaliers de dressage. Elle est apparue assez tard, par rapport à la muserolle allemande ; on ne sait pas trop qui l'a inventée et quand, mais à la fin des années 1960, on l'a vue apparaître de plus en plus régulièrement sur les terrains de CSO et servait à la base à fermer la bouche du cheval. Elle aidait également à attacher la tête du cheval avec une martingale fixe (une pratique aujourd'hui interdite). Des terrains d'obstacle, la muserolle combinée a migré vers les terrrains de dressage dans les années 1980 et a depuis pratiquement remplacé la muserolle allemande.

La muserolle croisée, aussi appelée muserolle mexicaine ou "Grackle" (du nom du cheval qui a remporté le British Grand National en 1931 en portant cette muserolle) a aussi été popularisée par le milieu du jumping, et notamment par l'équipe mexicaine qui raflait tout à la fin des années 1940. Elle est toujours populaire en CSO et en complet, mais en dressage on la voit très rarement.

De l'usage mystérieux de la muserolle

De nos jours, on voit souvent dans des magazines des articles sur les différentes muserolles, où elles sont présentées et où l'on explique à quoi elles servent et comment les ajuster. Pourtant, les oeuvres majeures des Maîtres équestres n'en font quasiment jamais mention! Soit parce qu'en fait, on a deux types de muserolle : la française (que les Anglais appellent l'anglaise, évidemment) et l'allemande (que les anglais appellent abaissée) (j'en conviens on y perd son latin) ; soit parce que toute bride est équipée d'une muserolle et qu'on ne se posait pas la question de savoir si on devait l'utiliser avec ou sans, et si avec laquelle, comme aujourd'hui.

L'un des manuels équestres les plus populaires en Allemagne, Reitlehre (l'Apprentissage de l'Equitation) de Wilhelm Müseler, publié pour la première fois dans les années 1930 et toujours disponible aujourd'hui, explique que les muserolles sont faites pour maintenir le mors à sa place, et qu'elles empêchent le cheval d'ouvrir la bouche pour se soustraire aux actions du mors. Il passe rapidement sur les différents modèles, sans expliquer réellement à quoi elles servent. Müseler pensait-il que 80 ans plus tard, ses lecteurs seraient assez compétents pour savoir quels en seraient les usages, et les ajuster eux-même?

 

waetjen-plutokerka1Richard Wätjen, un cavalier de dressage et entraîneur allemand très reconnu à l'époque de la 2e Guerre mondiale, établit dans son manuel Das Dressurreiten (non traduit en français) qu'une bride adaptée et ajustée est indispensable à qui veut progresser en dressage. Il recommande l'usage systématique d'une muserolle - et d'après sa description, d'une muserolle allemande. Pour lui, le but d'une muserolle c'est bien d'empêcher le cheval d'ouvrir la bouche, mais il met bien en garde le lecteur : le cheval doit toujours pouvoir bouger la mâchoire et effectuer un mouvement de mastication!

Richard Wätjen (1891 - 1966) en selle sur Pluto Kerka

Le livre de Richard Wätjen fait partie de ces classiques indémodables que l'on trouve toujours aujourd'hui, aux côtés de Bürkner, Podhaksjy, Steinbrecht, Seunig, Decarpentry ou Bürger, complétées idéalements par d'autres publications plus récentes.

Ainsi dans le livre de la cavalière olympique britannique Jenny Loriston-Clarke "Le guide complet du dressage", publié pour la première fois en 1987, l'auteur mentionne la muserolle combinée et la muserolle allemande. Elle souligne le fait que la muserolle combinée permet au mors de rester bien droit dans la bouche, et insiste sur le fait qu'une muserolle allemande doit être ajustée avec précaution. J. L-C. établit également que si la partie supérieure de la muserolle allemande est trop longue, elle risque d'entrer en conflit avec le mors, d'être constamment en pression et entraînera à terme des problèmes sur la langue du cheval. Avec un jeune cheval au débourrage, elle recommande d'utiliser un caveçon plutôt qu'une muserolle pour commencer.

De façon surprenante, l'un des bouquins les plus populaires de ces dernières années, Dressurreiten (non traduit en français) par la cavalières aux multiples Olympiades Kyra Kyrklund et le juge olympique Jytte Lemkow, ne parle absolument pas des muserolles.

To be continued...