J'aurais bien aimé pouvoir dire que j'ai pu interviewer Catherine Haddad, mais pour l'instant, ce n'est qu'un doux rêve.

cath-haddad-winny

Catherine Haddad est américaine, et contribue de temps à autre à un site Internet très en vogue par chez eux, Chronicles of the Horse. Elle y écrit des articles sur un peu tout et rien, sur le dressage of course, mais aussi sur d'autres sujets, façon billets d'humeur. Elle a une plume très agréable à lire, donc même en anglais c'est pas si compliqué. Suffit de lire ce qu'elle écrit à propos de son cheval : "C'est un alezan flashy, plus rutilant et bling qu'une Thunderbird 1960. Il est espiègle, il se la pète et se prend pour un top model. L'endroit du manège le plus dangereux, quand Winyamaro y travaille, c'est entre lui et le miroir. Ne vous interposez pas entre lui et son reflet. C'est Fonzi réincarné en cheval". J'adore.

Et elle a aussi écrit quelques articles sur le saddle fitting, puisqu'elle considère ça comme crucial dans la pratique du dressage de haut niveau. Evidemment, moi je ne peux qu'approuver... Comme ses points de vue sont intéressants, je vais vous traduire tout ça ;-)

Le premier article de la série s'appelle "About the saddle : it's always been Stübben", où l'on apprend donc que Catherine monte en Stübben depuis longtemps, donc. Here we go.

Enfin, voilà l'article que je promets depuis longtemps au sujet de ma selle. En fait, c'est la selle de Willi Schultheis (chez qui Catherine a fait une bonne partie de son apprentissage du dressage, c'était un grand cavalier des années des années 1960-70), une Stübben Tristan Extra avec une ouverture d'arçon de 31 et un siège 18". Si on commande ce modèle avec ces dimensions précises, elle s'appelle la selle Schultheis, en cuir grainé marron clair, 4 contre-sanglons courts et pas de taquets. Il y a un "patch" de suédine marron à l'endroit où on positionnerait un taquet sur n'importe quelle autre selle.

Dans le temps où je montais avec Schultheis et Zeilinger (un autre cavalier de dressage allemand), on "cassait" ces selles en appliquant plusieurs couches d'huile pour foncer le cuir jusqu'à obtenir une riche couleur brune. Avant de monter, on passait un coup de savon Stübben sur le siège et les quartiers pour donner un peu d'accroche au cavalier. Une touche de "colle à botte" sur le haut de la botte permettait d'obtenir le mix parfait entre adhérence et liberté de mouvement que chaque cavalier de Schultheis se devait de rechercher dans son équitation.

Enfin, je dis "dans le temps", mais en fait ce rituel fait toujours partie de mon quotidien. Pour moi, LA selle, ç'a toujours été une Stübben, et je monte avec ma Schultheis tous les jours. Un ami a même suggéré qu'on l'enterre avec moi quand mon heure sera venue, ce qui m'a fait avoir une attaque d'anxiété.

Quoiqu'il en soit, quand j'ai rencontré Frank Stübben au CDI-W de Lyon l'automne passé [en 2009, l'article a été écrit en 2010], il a été content d'entendre que ça faisait 25 ans que j'utilisais la même selle et que je n'avais aucune intention d'en changer. (Je me dois d'anticiper sur les critiques à ce point : j'ai ESSAYE plein d'autres selles, plusieurs selliers ont essayé de me fournir une bonne copie de ma selle... mais rien jusqu'à présent n'a pu remplacer ma Schultheis.) Ma seule plainte à M. Stübben, c'est que je dois acheter chaque selle Schultheis d'occasion qui apparaît sur le marché pour mes élèves, étant donné que la nouvelle version de la Tristan Extra ne se comporte pas de la même façon que l'ancienne. Il a eu l'air sceptique, donc je l'ai invité à venir voir ma selle aux écuries pour discuter de certains détails.
Il a donc vérifié l'adaptation sur mon cheval - parfaite, grâce à la maîtrise de celui qui me la reflocke, et ce en dépit du fait que la selle de Cadillac [son cheval de GP de l'époque] a été fabriquée avant même que celui-ci soit né. Nous avons discuté du siège, de l'arçon, des quartiers, et de tout ce qui fait que je la décris comme "la selle de dressage la plus close contact qui soit". M. Stübben a noté le n° de série de la selle pour vérifier dans ses registres les détails de sa fabrication - Stübben garde une trace de toutes les selles produites dans leurs 3 ateliers, en Irlande, en Suisse et en Allemagne.
Avant de quitter l'écurie cet après-midi là, il me demanda si, vu l'importance que j'accorde à ma selle, je la ramenais à ma chambre d'hôtel le soir. J'ai répondu que non, elle a l'air tellement vieille et usée que je peux la laisser traîner dans l'écurie la nuit, personne ne pensera jamais à me la piquer!

C'est d'ailleurs une blague récurrente chez mes collègues cavaliers, qui me trouvent un peu cinglée de monter avec cette antiquité. Ils ont même proposé de faire une collecte pour m'en offrir une neuve... Laissez-les rigoler! Avec cette selle, je sens chacun des mouvements de mon cheval à la perfection, et lui sent chaque mouvement minime de la jambe ou de l'assiette. Cette selle transforme chaque cheval que je monte en une sorte de machine à réponse instantanée. Je n'ai jamais à me soucier de potentielles interférences dans notre communication.
Elle est également parfaitement équilibrée. Elle positionne le cavalier un peu plus en avant que la plupart des selles modernes, et ça me permet d'avoir les ischions pile au dessus du centre de gravité du cheval. Mon poids est ainsi centré au-dessus de ce point crucial, environ 10cm derrière le coude du cheval, et n'est pas repoussé en arrière vers le "moteur" du cheval, au niveau de ses reins.

La plupart des selles de dressage modernes placent les genoux du cavalier trop en arrière, empêchant le pelvis de jouer son rôle d'amortissement et reculant l'assiette du cavalier trop proche du "moteur" du cheval, ce qui rend l'assise et le suivi des mouvements du cheval bien plus difficiles. Pour compenser ce déséquilibre, ces selles sont habituellement équipées de taquets avant exubérants, très longs et très épais, qui bloquent le cavalier dans une position rigide et l'empêchent de suivre correctement les mouvements du dos du cheval, qui sont le plus marqués à l'endroit des lombaires. Une selle qui bloque le cavalier dans une position entraîne potentiellement des problèmes physiques, aux genoux, aux hanches, aux sacro-illiaques ou aux disques intervertébraux. Et évidemment, si le cavalier ne peut ressentir et suivre confortablement les mouvements du dos de son cheval, ça aura aussi un impact sur le cheval.

Je pourrais en parler pendant des heures. Pour la faire brève, je n'ai jamais trouvé une autre selle qui me permette de m'asseoir librement, confortablement et profondément sur un cheval.

Le seul problème avec cette selle, c'est que vous devez travailler votre assiette pour l'utiliser. Et ça prend des années. Vous avez également besoin d'un bon prof, et d'un bon cheval de longe. Pendant la période "militaire", vous ferez l'expérience de divers bobos, vous plaindrez que le siège est trop dur - il se peut même que vous appeliez Maman une paire de fois.

Ca, c'est un problème pour M. Stübben, qui aime vendre des selles et n'a pas particulièrement envie que les cavaliers de dressage abandonnent dans la dure épreuve de l'apprentissage de l'assiette nécessaire à l'utilisation d'une selle Schultheis. Donc il m'a proposé de m'envoyer une nouvelle selle, basée sur les mesures et caractéristiques de la selle de Cadillac, mais fabriquée avec des matériaux modernes et un design plus moderne. Un truc un peu plus accueillant que mon vieux banc de messe, en somme. Il espérait que j'essaierais sa selle et la trouverait satisfaisante. J'acquiescai, en soupirant et en roulant des yeux (je crois que je suis un peu bornée).

Je suis certaine qu'à ce point, vous pensez tous que ça va finir avec une nouvelle selle, un nouvel essai, et une nouvelle fois, une selle flambant neuve qui prend la poussière dans ma sellerie. Qui serait Catherine Haddad sans sa selle Schultheis?

Vous m'en direz tant! même les vieux chiens peuvent parfois être convaincus par la technologie. J'ai reçu la nouvelle selle en janvier dernier, et non seulement elle est super confortable, mais aussi équilibrée, "close contact" et me permet de communiquer avec ma monture de la même façon que ma vieille Schultheis. Elle est équipée d'une modification sur le siège qui permet au cavalier d'avoir un meilleur confort d'un point de vue biomécanique [le Biomex, vous regarderez ce que c'est].
Il me reste juste une petite modification à faire, et la fabrication de cette selle pourrait bien être lancée à plus grande échelle - ce qui résoud mon problème de guettage intempestif de toute antiquité Schultheis sur Ebay...

Le "truc" du jour : placez vos genoux devant vous quand vous montez, et pliez-les normalement pour avoir une bonne position de jambe. Ne reculez pas votre jambe depuis la hanche, vous allez bloquer toute la région du pelvis et ainsi être incapable d'encaisser correctement les mouvements du cheval.

Haddad-Stubben-Saddles

De haut en bas, de gauche à droite : Cadillac, Catherine
La selle neuve et la vieille Schultheis

 

***

Moi, j'aime bien ce qu'elle écrit. Cette préconisation d'une position somme toute naturelle tord le cou à tout ce qu'on essaie de nous faire faire avec ces selles orthopédiques qu'on trouve maintenant.