Parler de monte à cru sur un blog qui traite de sellerie, ça peut sembler être complètement antinomique. Voire, ça peut revenir à se tirer une balle dans le pied. Mais en fait non!
Parce que ce qui nous intéresse ici, finalement, c'est l'incidence du cavalier sur le dos du cheval. Selle ou pas selle, du moment où un cavalier s'installe sur le dos, son poids aura forcément un impact physique sur le cheval (sauf si le cavalier fait 20 kgs tout mouillé et monte un gros cheval de trait, là autant dire qu'une mouche aurait plus d'incidence) (mais je doute qu'aucun de mes lecteurs ne pèse 20 kgs tout mouillé).
Je rappelle que la colonne vertébrale d'un cheval n'est en théorie pas vraiment faite pour porter un cavalier, étant très fragile au niveau des apophyses, qui affleurent sous la peau.
La selle permet d'épargner les vertèbres et de répartir le poids sur les muscles dorsaux et la cage thoracique au moyen de la gouttière et des panneaux. La selle a donc un but de protection (c'est pour ça que son adaptation est importante, si le moyen qui doit protéger le cheval le blesse, le serpent se mord la queue).
Et donc, si on monte à cru, on se prive de ce moyen de protection de la colonne vertébrale du cheval. Il va donc falloir que le cavalier mette en oeuvre toutes les précautions du monde pour protéger la colonne de son influence.
Première chose à signaler : certains chevaux sont plus faits que d'autres pour la monte à cru. D'un point de vue physique d'une part - les chevaux au dos large et à la colonne noyée sont plus à même d'être montés à cru que les tréteaux osseux parce que leurs muscles dorsaux servent de gouttière naturelle - et d'un point de vue locomoteur d'autre part. Les chevaux qui ont beaucoup de rebond dans leurs allures sont bien moins confortables que les chevaux qui ont des allures rasantes, et les chevaux qui ont une cadence lente sont plus faciles à encaisser que les chevaux "qui trottent comme des machines à coudre".
Confortable, quoique!
La largeur d'un tel dos ne permet pas de bien descendre la jambe au contact,
sauf avec une articulation fémorale très très souple...
Et puis comme c'est rond, ça glisse!
Encaisser, voilà qui nous emmène au sujet du cavalier qui monte à cru.
Monter à cru, c'est formidable pour se forger une assiette. On ne peut pas tricher, on DOIT fonctionner avec le cheval sinon on se casse la figure. Les gens qui ont commencé à shet à cru savent de quoi je parle, on apprend vraiment à faire corps avec le cheval, l'équilibre devient vraiment instinctif. D'ailleurs, parlant de ça, en Allemagne, le système fait que de nombreux cavaliers apprennent à monter en commençant par la voltige, ce qui est une excellente chose et qui explique bien pourquoi les Teutons font corps avec leurs Panzerchevaux dont les allures sont... remuantes.
Cela dit, comme je l'évoque sous la photo de Muscat, il y a des formats de chevaux qui sont plus faciles que d'autres à monter à cru. La selle permet d'ajouter une certaine étroitesse au niveau de l'enfourchure, qui permet d'avoir un placement de la jambe descendu.
En anglais, l'enfourchure se dit "twist".
Sa largeur est à déterminer en fonction de la morphologie du cavalier et du cheval.
Un cheval très large ne pourra pas avoir une selle à enfourchure étroite, qui le pincera juste derrière le garrot.
Si le cavalier a besoin d'une enfourchure étroite sur un tel cheval, ça posera souci...
Comme dit Glenn, "the joint has to fit the plate" = le rôti doit tenir dans le plat.
Autrement dit, les gabarits du cheval et du cavalier doivent être compatibles.
Une cavalière au bassin très étroit sur un cheval au dos très large, ça ne fera pas
forcément bon ménage...
A cru, on n'a pas cette enfourchure, et parfois, c'est très large, ça écartèle. Donc on est obligé de plier un peu la jambe au niveau de la hanche, donc descente de jambe moins bonne, donc on peut moins "prendre" le cheval dans les jambes et se maintenir sur son dos grâce aux adducteurs. On se tiendra plutôt avec le genou et le mollet, et l'articulation coxo-fémorale pliée ne permettra pas un jeu optimal du bassin. (sur ce sujet, lire un peu ce qui se dit au sujet du balancier global, c'est un fonctionnement intéressant).
Ensuite, donc, le bassin. A cru, on ne peut pas tricher. Le bassin, c'est donc le "siège" (haha) de l'assiette, notre centre de gravité est situé dans sa partie supérieure, de lui partent nos jambes qui doivent tomber et englober le cheval, notre buste qui doit être tonique sans raideur. La souplesse au niveau du bassin (donc des deux articulations qui l'entourent, les vertèbres lombaires en haut et la fameuse articulation coxo-fémorale en bas) est donc primordiale à cru pour pouvoir suivre les mouvements du cheval sans lui taper sur le dos. Et c'est également primordial d'avoir le bassin d'aplomb pour monter à cru sans risquer de détraquer le cheval dans sa locomotion, il est donc recommandé de faire un check-up ostéo humain de temps en temps (le nombre de gens qui ont le bassin un peu décalé, c'est juste hallucinant! Moi-même, j'ai tendance à être toujours légèrement vrillée vers la gauche...)
Parlant de bassin et d'assiette, je vous recolle ici deux articles que j'ai déjà écrits sur le sujet : le siège de la selle et sa conception par rapport au bassin du cavalier, et le fonctionnement de l'assiette.
Donc, quelle position adopter à cru? Je recolle ici un test de Mrs Equimetric, j'ai nommé Simone Ravenel, qui a utilisé son tapis électronique pour mesurer les pressions du cavalier à cru. Les résultats sont sans appel.
Qui n'a jamais pris quelqu'un sur ses genoux et a ressenti très rapidement une douleur au niveau de ses cuisses, la ou appuie les ischions de la personne portée?
En montant à cheval, on est dans une configuration un peu différente car notre poids se repartit non seulement sous nos ischions, mais aussi sous nos cuisses.
Une école spécialisée dans la monte a cru exige même que notre position soit bien droite, ce qui bascule notre pression sous les cuisses à la place de nos ischions. (note de moi-même : c'est pourquoi monter un cheval très large va poser problème...)
A la mesure, on constate effectivement un soulagement de la pression sous les ischions du cavalier.
Mesure cavalier droit, le poids du cavalier n'est pas sur les ischions
Mesure cavalier ''avachi'', le poids se concentre sur les ischions.
Donc si vous montez beaucoup à cru, afin d'être le moins dommageable possible pour le dos de votre cheval, pensez a vous redresser. D'ailleurs le simple fait de ''se tenir cavalier'', c'est-à-dire bien droit (et non avachi) suffit a faire la différence entre ces deux mesures.
Voilà, les photos et les mesures sont parlantes.
L'école dont parle Simone doit être les Jardins d'Akita si je ne me trompe pas, voilà ce qu'ils écrivent sur la monte à cru et la position du cavalier à cru. Intéressant.
Bon et quid des tapis de monte à cru pour finir?
Alors déjà, les trucs avec étrivières sont à bannir absolument. Même argumentaire que pour la selle sans arçon :
Dans le cas d'une selle sans arçon, c'est dans 8 cas sur 10 attaché à une bande qui passe en travers de la colonne vertébrale, et là bouh pas bien, gros point de pression en perspective sur la colonne du cheval. Vous pouvez mettre toutes les couches que vous voulez en-dessous, chaque cheval étant au fond de lui une Princesse au Petit Pois, y aura forcément un moment où ça ne sera pas bon puisque aucune pièce rigide ne permet de redistribuer le poids sur une plus grande surface portante. C'est précisément pour cette raison que les étriers sur une selle sans arçon ne doivent pas être utilisés pour s'appuyer, ça se répercute directement sur les apophyses vertébrales, et aïe. Donc : on n'utilise pas de selle sans arçon équipée d'un tel dispositif pour trotter enlevé longuement, galoper en équilibre ou sauter des barres.
Dans le cas d'un tapis de monte à cru, y a même pas d'effort de rigidification des matériaux, c'est un tapis plus ou moins épais mais c'est tout. L'effet des couteaux d'étrivières sur la colonne vertébrale sera donc démultiplié, et les douleurs ne tarderont pas à se faire sentir pour le cheval.
Après, ben, c'est plus une question de confort pour le cavalier, ça évite d'avoir les poils du cheval qui piquent à travers le pantalon, d'avoir la célèbre trace de poussière au derrière, et puis l'air de rien, si la matière est bien, ça rajoute du grip, donc ça aide à la tenue d'une bonne position, donc ça aide le cheval aussi.
Quant à sa conception, elle doit être la même que pour un tapis de selle avec une bonne découpe vertébrale. Il ne doit pas être sanglé trop fort pour ne pas faire pression sur les apophyses, simplement ajusté de sorte à ne pas tourner. L'épaisseur n'est pas un problème comme dans le cas de la selle, donc elle sera à choisir en fonction des goûts du cavalier. On trouve même des tapis de monte à cru hyper perfectionnés, comme chez Christ par exemple.
Et pour finir, un peu de dressage classique à cru, avec Alizé Froment sur son cheval de Grand Prix Mistral du Coussoul :
Le jour où j'aurai son assiette...