On m'a fait remarquer il y a peu, et à juste titre, que je n'avais jamais écrit d'article consacré à la composition et à la fabrication d'une selle. Pensant que tout le monde avait sagement potassé son Lavauzelle du galop 2 (cela dit, le bouquin de chez Vigot est mieux), je n'avais pas pris la peine de le faire, mais en fait, une piqûre de rappel me semble nécessaire.
Voilà une illustration bien faite, copyright Le Site Cheval
Notez bien que ce qu'ils appellent "matelassures" sur le dessin, en sellerie on appelle plutôt ça des "panneaux" - de l'anglais "panel". Les Suisses et les Allemands, eux, parlent plutôt de "coussins". Mais ces trois termes désignent la même chose!
Là on est dans le cas d'une selle bi-quartier : il y a le faux quartier entre le cheval et la sangle, et le quartier proprement dit entre la sangle et la jambe du cavalier.
Dans le cas d'une selle monoquartier, les deux quartiers sont cousus entre eux, et les contre-sanglons passent à l'intérieur des deux couches de cuir et "débordent" en bas pour recevoir la sangle (on aura toujours un sanglage bas sur une monoquartier, c'est techniquement impossible de faire autrement!!!)
Bon et maintenant, parce que c'est plus fun, on va parler arçon.
J'ai pas trouvé de schéma légendé en français, donc en voilà un en anglais, avec mes traductions en français :
- head = le pommeau
- reinforcing steel = les renforts en métal qui permettent de rigidifier le bois "souple" dont est fait l'arçon
- points = les pointes de l'arçon
- stirrup bars = les couteaux d'étrivières
- springs = les fines bandes de métal qui permettent de donner soutien et élasticité aux bandes de l'arçon - elles ne sont pas présentes sur tous les arçons, seulement ceux en bois lamellé-collé
- cantle = troussequin
Vous pouvez jeter un coup d'oeil au site de l'Arçonnerie Française, qui n'est pas vraiment pédagogique, mais qui vous donnera une idée.
Bon, ça c'est dans le cas d'un arçon traditionnel, les arçons en résine ou en plastique ne ressemblent pas du tout à ça.
Arçon Wintec
Arçon Prestige
Bon et c'est dommage, au bureau j'ai la photo d'un arçon Sommer
qui est intéressant... mais je suis pas au bureau c'est samedi!
Enfin voilà pour l'arçon.
Et pour l'assemblage de la selle, donc, je vais vous traduire un petit article pas spécialiste mais bien illustré et pas mal fait (dont voici l'original en anglais), sur la sellerie anglaise Frank Baines, qui fabrique du haut de gamme.
Here we go!
En 1901, il y avait 6 800 (!!!!) selliers qui travaillaient à Walsall, en Angleterre. On comprend pourquoi la gare est située à proximité du quartier des selliers, et que l'équipe de foot local est surnommée "the saddlers" - mais aujourd'hui, où en est l'activité de sellerie à Walsall?
[minute culturelle : pourquoi les selliers anglais sont en grande partie concentrée à Walsall? et d'ailleurs c'est où ça, Walsall?
C'est là!
Glenn m'a expliqué qu'en fait, il y a eu à partir du 18e siècle un gros rassemblement de selliers dans cette région d'Angleterre pour produire des selles et autres harnais en masse pour l'Armée Britannique. Or, pour fabriquer des selles, il faut certes du cuir, mais aussi du métal. Donc, des mines et des fonderies à proximité. Si vous vous souvenez de vos cours d'histoire et de civilisation anglaise, vous savez que l'industrie minière du Royaume Uni était concentrée dans l'Ouest du pays, vers les montagnes du Pays de Galle et un peu plus au nord, vers Liverpool et Manchester. Walsall était donc situé pile sur la route entre ces régions industrielles et Londres (aujourd'hui, Walsall fait + ou - partie de Birmingham) : pratique, donc. Walsall a gagné en puissance jusque dans les années 1900, employant pratiquement tout le monde dans le coin, et comme toute l'activité équestre, c'est l'expansion automobile qui lui a porté le coup de grâce grosso modo à l'entre-deux-guerres. Enfin, "coup de grâce", il reste toujours près d'une vingtaine de manufactures de selles à Walsall aujourd'hui, dont les plus importants selliers anglais : Frank Baines, Barnsby, Thorowgood et l'empire de Lord Fairfax, Albion...
Pour les anglophones, une histoire plus détaillée ici : A life in the leather industry]
Voici donc l'atelier de Frank Baines, qui fait partie de la vingtaine de selliers que l'on trouve dans les pages jaunes de Walsall.
Voici Frank Baines lui-même, dans la pièce où sont stockés les arçons, en compagnie de Carol Robinson, la présidente de l'Heritage Crafts Association (qui nous fait le plaisir de la visite via son blog).
L'arçon c'est le squelette de la selle. En sellerie traditionnelle, il est donc fabriqué avec du bois lamellé-collé et renforcé de métal, mais les selliers sont toujours en quête d'innovation et expérimentent de nouvelles techniques de fabrication avec des matériaux comme la fibre de carbone (cf la Hermès Talaris ou la CWD 2G).
Il y a 5 ou 6 arçonniers à Walsall uniquement (en France, on en a un seul pour toute la France. Voilà, c'est dit...) mais les selliers ont besoin de garder un stock conséquent pour avoir différentes tailles disponibles. Les selles bon marché sont comme du prêt-à-porter, chez Frank Baines en revanche, c'est du sur-mesure. La selle devant correspondre parfaitement au cheval comme au cavalier et assurer une répartition confortable du poids et des pressions, chacune d'entre elle est faite sur mesures.
Avant de changer de sujet, il FAUT que je vous montre ça. C'est un vieil arçon en bois suédois, vieux d'au moins 100 ans.
Voilà les patrons, que Frank dessine d'après les mesures prises sur le cheval et le cavalier. (évidemment, la plupart sont standardisés et réutilisables quand on rencontre des cas de figure semblables)
L'atelier tout entier embaume le cuir de qualité, chaque selle employant différents cuirs taillés dans différentes parties des peaux.
Ca, ce sont des outils de découpe, qui doivent être bien affutés pour couper nettement le cuir.
Des rouleaux de cuir souple qui attendent d'être transformés.
La découpe du cuir.
Une fois les cuirs découpés, il y a beaucoup de couture à la main à faire. Chaque artisan a son atelier, et travaille sur une seule selle, de A à Z (pas comme dans la sellerie française que j'ai visitée, où c'est du travail à la chaîne). Frank a beau être le PDG, il a son propre atelier et y passe bien plus de temps qu'à son bureau.
C'est physique comme boulot, les mecs ont tous des bras musclés comme Popeye.
Cet outil en forme de champignon (un "masher") est utilisé pour tasser les matériaux de la selle, ce qui aide à faire des coutures très serrées.
Comme ça :
L'auteur initiale de l'article avoue ne rien y connaître, ni en sellerie, ni en équitation, mais elle raconte que lorsqu'elle a parlé de sa visite à l'une de ses amies, cavalière passionnée, celle-ci était jalouse de sa visite, Frank Baines étant outre-Manche l'un des grands selliers, et surtout l'un des spécialistes de la selle de dressage (paraît-il que celles-ci sont de véritables Rolls Royce en termes de confort).
L'auteur a même pris quelques vidéos qui montrent un peu le travail des artisans, et l'organisation intérieure de l'atelier :
C'est toujours vraiment intéressant de voir des passionnés comme Frank et son équipe au travail, leur engagement pour une production de qualité et leur amour de la tradition qu'ils réussissent à conjuguer à une recherche constante de l'amélioration et du progrès technologique. Leur site web est ici.
Bon week-end les petits poulets!