[réédition]

Le sans-arçon, sujet épineux s'il en est. Probablement l'un des sujets les plus délicats en matière de sellerie. Il y a les pour, il y a les contre, il y a les "ça me tente bien mais je sais pas trop...", il y a ceux qui s'en foutent, ceux qui ont vu leurs chevaux revivre et ceux qui ont détruit leurs chevaux en tentant l'expérience.

Il faut, en considérant l'expérience "treeless" ("Baumlos" pour les germanophiles - on notera que les Anglais comme les Allemands appellent l'arçon "arbre", ce qui peut donner des traductions Google très rigolotes), garder en tête les règles absolues de l'ergonomie équine : longueur de la selle, largeur de la selle, dégagement de la colonne vertébrale, place du sanglage, répartition du poids.

Le premier vrai gros problème, c'est celui des selles de type "bardette" qui n'ont pas de gouttière. La règle n°1 du saddle fitting étant JAMAIS D'APPUI SUR LA COLONNE VERTEBRALE en pose tout de suite les limites.

Sinon :

Thermographie d'une colonne vertébrale comprimée

Partant de là, exit TOUTES les selles qui sont dépourvues de gouttière.

Je reprends donc ici des illustrations du site de Simone Ravenel (Equimetric) :

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NIET ; sans cavalier le garrot est déjà comprimé!
Avec un relevé de pression, ça donne ça :

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Les "montagnes", c'est le garrot. Pics de pression +++

Si vous voulez une sans arçon, donc, éliminez systématiquement toute selle dépourvue de gouttière. Exit donc les Freeform, Freemax, Eric Thomas ou Randol's, qui sont les selles les moins chères que l'on trouve par chez nous...

Les selles Barefoot sont plates dessous, mais conçues pour aller avec un système "VPS" (Vertebrae Protection System), une sorte de tapis-gouttière qui les rend convenables. Néanmoins, la com' de cette marque est TRES bien faite, donc marche très bien... mais ne vous laissez pas leurrer par leurs belles paroles : non, les Barefoot ne vont pas à tous les chevaux, c'est faux ; et ne conviennent pas non plus à toutes les utilisations.

Sur quel type de cheval utiliser des sans-arçons?

De préférence, sur les chevaux :
1. ronds
2. adultes

Pourquoi donc?
1. plus spécifiquement, sur les chevaux à dos large sans trop de garrot, avec les apophyses vertébrales qui affleurent à peine, voire sont "enfouies" entre les muscles dorsaux.
Sur les chevaux avec une colonne saillante, il faut prévoir des selles avec panneaux et gouttière.

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Une Fhoenix by Heather Moffett vue de dessous : vraie gouttière, panneaux en forme
et on constate le dégagement pour le garrot en haut de la gouttière

2. adultes : les chevaux qui ont fini leur croissance osseuse et qui sont globablement bien équilibrés. Pourquoi? Je l'ai expliqué dans un article précédent : parce qu'on ne s'assied pas sur un jeune, on trotte enlevé et on galope en équilibre, pour pouvoir le mettre dans le mouvement en avant et pour éviter les fautes d'assiette sur un cheval pas stabilisé dans sa locomotion (je rappelle que les reprises de dressage "jeunes chevaux" se font au trot enlevé).

Or, les selles sans arçon ne sont pas faites pour être utilisées en mettant du poids dans les étriers. Elles sont très bien pour travailler assis, ou pour de la balade (pas trop conseillées a priori pour de la longue rando ou de l'endurance, même si certains les utilisent ainsi et en semblent contents - surtout aux USA), mais pour sauter, crosser ou aller aux allures soutenues, ce n'est pas l'idéal. Pourquoi ne pas mettre du poids dans les étriers? parce que les étriers ne sont accrochés à aucune structure suffisamment rigide pour ne pas ployer sous la force que déploie un cavalier qui s'appuie sur ses étriers pour se soulever de sa selle. Si la structure interne fait qu'en plus, les étrivières sont attachées perpendiculairement à la colonne vertébrale, vous allez appliquer une pression très forte, très localisée et répétée sur un tout petit endroit de la dite colonne. Et ça, c'est hors de question.

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Détail de l'attache d'étrivières d'une Freeform

La question de la répartition du poids est donc essentielle. Comment une selle sans structure interne peut-elle répartir suffisamment le poids?  On peut faire un parallèle avec un sac à dos de randonnée, ou un bât même. On n'a pas inventé les structures rigides pour rien : elles permettent d'éviter que tout le poids se concentre en un seul et même endroit, et de le répartir sur une surface portante déterminée.

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L'arçon permet aussi et surtout de dégager les couteaux d'étrivières du dos du cheval, et de répartir leur impact sur des zones d'appui étendues. Que la selle soit avec ou sans arçon, les couteaux d'étrivières sont des zones problématiques où l'on retrouve fréquemment des problèmes : blessures, frottements, gonfles, poils blancs... l'arçon permet de limiter un peu leur impact direct, voire de le supprimer quand il n'y a pas de problème de fitting. Mais supprimez l'arçon, placez les couteaux d'étrivières directement au contact du dos (même à travers des couches de mousse bien épaisses), et si possible utilisez un cavalier fort dans ses étriers : problème garanti.

La concentration du poids en un seul et même endroit amène à un autre constat : même si les selles sont pourvue de mousses très denses, voire d'une structure interne en cuir rigide, elles s'effondrent inéluctablement en leur centre, là où le cavalier s'asseoit. Un peu comme un vieux matelas, même de bonne qualité : si on dort toujours au même endroit, on se retrouve plus ou moins rapidement à "creuser son trou". Et comme le cavalier est souvent tordu, le cheval aussi d'ailleurs, les selles se retrouvent à vriller très rapidement (déjà constaté à plusieurs reprises...). La rigidité initiale de la selle se retrouve donc mise à mal, et la répartition du poids ne peut plus être correcte. Les selles deviennent de vrais chewing-gums, et ne remplissent plus leur rôle.

Et enfin : au niveau du cavalier, l'absence d'arçon peut être perturbante. L'arçon, par sa rigidité et donc son dynamisme, sert à la fois de filtre et de stabilisateur, et donne des moyens d'action précis (pour l'assiette, notamment). Il permet d'éviter la sur-sollicitation des muscles posturaux (le "core" pour les fans de Pilate) et paradoxalement, rapproche le cavalier de sa monture. Il limite l'effet cheesecake des multiples couches de matériaux mous (mousse, laine, remousse, latex, etc) et permet d'aller à l'essentiel (un peu d'amorti avec les matelassures, un peu de bois / carbone / polymères, un peu d'amorti pour les fesses, le tout emballé dans du cuir et basta). Il faut bien se souvenir que le confort d'une selle ne dépend pas de son moelleux mais de l'adaptation de ses formes à celles du cavalier et de son cheval...

Dans quel cas utiliser une selle sans arçon, alors???

Pour le cavalier, ça peut être une bonne solution si l'utilisation qu'on en fait n'est pas très sportive, que le cavalier est léger (exit les poids supérieurs à 70kg), gainé et ultra-centré. En gros, qu'il n'a pas trop d'appui dans les étriers et qu'il sait gérer son équilibre autrement. Concrètement, j'ai rarement vu des cavaliers qui seraient à même d'utiliser parfaitement ces selles. 
Après, c'est une question de goût personnel ; j'ai testé, en tant que cavalière, ai trouvé ça intéressant pour quelques questions de ressenti mais très limité au niveau technique. Il faut de toute façon essayer : une selle reste un choix très personnel!

 

Niveau chevaux, ça peut aider à sauver des situations d'insellables, notamment des dos très courts et très larges ; ça peut aider certains chevaux qui ont été handicapés par une mauvaise selle à retrouver un bon dos, une bonne locomotion et confiance en la présence d'un humain sur leur dos ; ça peut aider aussi à prendre conscience des mouvements du cheval... mais en soi, rien qu'une selle avec arçon adaptée ne puisse rien faire, finalement. Quoiqu'il en soit, si vous décidez de tenter l'expérience, souvenez-vous seulement d'une chose : il faut TOUJOURS dégager la colonne vertébrale. Toujours. Pour le reste, vous verrez bien...