Suite à consultation des foules et dépouillement des bulletins, c'est la thématique de l'assiette, ô combien casse-gueule, qui a été plébiscitée par le suffrage universel (dans mon suffrage à moi, même les moins de 18 ans et les étrangers peuvent voter. Sarko si tu m'entends, prends-en de la graine, na) (bon certes, j'ai eu 35 votants. Certes.)
Donc ! l'assiette.
J'aime Norman Thelwell
Quand je dis de l'assiette que c'est l'alpha et l'oméga de l'équitation, c'est parce que c'est la première chose qu'on devrait commencer par apprendre au début de notre vie de cavalier (cf les mois de longe que se mangent les apprentis écuyers de l'Ecole espagnole de Vienne), et parce qu'un cheval qui effectue tout ce qu'on lui demande uniquement à l'assiette, dans la descente d'aides la plus totale, c'est l'aboutissement de l'équitation, un peu la réalisation du mythe du centaure, quoi.
Mais qu'est-ce que l'assiette, pour commencer?
Pour moi, c'est la faculté du cavalier à suivre les mouvements du cheval avec son corps (relativement facile), sans le gêner (déjà moins facile), et à influencer volontairement les dits mouvements au moyen de son propre corps (là c'est pas facile du tout). Et tout ça passe par le bassin et les articulations qui s'y rattachent (vertèbres lombaires au dessus, articulation coxo-fémorale au dessous).
Il y a une différence fondamentale entre "tenir à cheval" et "avoir une bonne assiette". N'importe qui qui a un peu d'équilibre, de réflexes et une bonne paire d'adducteurs aux cuisses peut tenir à cheval, même en cas de sauts de mouton et autres fantaisies, suffit de se cramponner. C'est pas pour autant qu'il aura une bonne assiette.
[je précise que c'est ma définition à moi, que j'ai pu construire au travers de mes expériences. C'est une notion qui fait couler beaucoup d'encre, et des tas de gens en parlent beaucoup mieux que moi. A mon sens, la personne qui propose le cheminement le plus logique et la réflexion la plus avancée, c'est Sally Swift, avec son Equitation centrée. Un must have de toute bibliothèque de cavalier!]
Acquérir une bonne assiette, c'est long, très long. Ca demande d'avoir une bonne connaissance et une bonne maîtrise de son propre corps, dans un premier temps. C'est pourquoi la pratique d'activités comme le yoga sont précieuses, en plus de la pratique équestre. Sans le cheval, on y apprend à ressentir et maîtriser son corps, son mental et son souffle, et à cheval, le bénéfice est immense. A signaler, un bon bouquin sur le sujet : Yoga et équitation de Diane Louise Lasonde.
Ca demande aussi de savoir ressentir les mouvements du cheval. Ici, 3 options :
- on a de la chance et on peut profiter de cours sur simulateur, où l'on bénéficie du fonctionnement biomécanique sans avoir les "parasites" de l'équitation (feuille qui volent, gamins qui courent, cheval qui boite, qui est trop ci ou pas assez ça) et on peut se concentrer à 100% sur le mouvement à suivre. J'avais essayé Persival, le cheval mécanique de l'ENE, c'était vraiment super instructif. Si vous avez l'occasion, foncez!
- on a un peu de chance et on peut bénéficier de cours "en longe" où l'instructeur canalise le cheval et où il nous guide en même temps. On a la variable "cheval" qui entre en ligne de compte avec les potentiels incidents de parcours, et puis c'est pas sympa pour le bourrin de tourner en rond, au moins le simulateur, lui, il s'en fout.
- on a bof de la chance et on fait du tape-cul. C'est pas sympa pour le bourrin qui doit supporter nos fautes de main et de jambes en plus de nos singeries (que celui qui ne s'est jamais tapé d'innombrables tours de manège avec les jambes "en canard" lève le doigt).
Et puis après tout ça ... y a plus qu'à bosser.
Bon, et le rapport avec le saddle fitting???
J'y viens, patience.
L'assiette, c'est une thématique complexe, et la selle a un ENORME impact sur l'assiette du cavalier (et donc, au-delà, sur la locomotion et l'équilibre du cheval).
L'assiette, en gros, c'est la faculté de faire fonctionner ensemble le centre de gravité du cheval, et celui du cavalier. Le centre de gravité du cavalier se situe grosso modo entre le nombril et le pelvis, en avant de la 3e vertèbre lombaire, juste au dessus du bassin ; il est intéressant de noter qu'il correspond au premier chakra du yoga, le chakra de la racine, celui qui nous ancre sur terre... on a rien inventé, hein! On a juste changé les mots!
Le centre de gravité du cheval se situe en arrière du garrot, à peu près au passage de sangle, au milieu de la cage thoracique (c'est plus ou moins ça, après ça change en fonction de l'attitude et de la conformation du cheval ; voilà un lien vers un article du Dr Bennet qui vous permettra de déterminer là où est le centre de gravité de votre cheval, mais seulement si vous parlez anglais).
Le centre de gravité, dans ce schéma si chargé, c'est le petit rond noir derrière l'omoplate.
Donc, sur un cheval lambda, le centre de gravité du cheval est légèrement plus en avant que celui du cavalier, et tout le travail du cavalier va être de reculer le centre de gravité de son cheval pour qu'il soit parfaitement équilibré entre son devant et son derrière. C'est là tout le travail du dressage, qui vise à ramener le cheval dans un équilibre plus sur les hanches, de sorte à ce que l'avant-main soit mobile. On en voit les bénéfices au saut d'obstacle, un cheval sur les épaules devra fournir un gros effort pour sauter, alors qu'un cheval sur les hanches s'élèvera facilement au-dessus des barres.
Et le cavalier dans tout ça, il devra adopter une position fonctionnelle qui permettra à son assiette de suivre le cheval sans le subir, voire d'agir sur le dit cheval. Alors j'ai déjà entendu "avoir une belle position ça sert à rien". Grave erreur. Une position est belle parce qu'elle est efficace, et la position académique, si elle est comme ça et pas autrement, c'est parce qu'elle autorise un fonctionnement biomécanique du cavalier qui permet d'avoir une bonne assiette, et au-delà, une bonne indépendance des aides. Point.
Du coup, quid de la selle? Hé bien, la selle devra déjà libérer l'avant-main du cheval, mais ça on le sait. Elle devra aussi lui permettre d'utiliser son corps sans le gêner, ça on le sait aussi. Mais côté cavalier?
La selle devra permettre au cavalier de se placer correctement par rapport au centre de gravité du cheval, pour pouvoir fonctionner et utiliser son assiette sans forcer. C'est pourquoi il est important qu'elle soit adaptée autant au cavalier qu'au cheval! Parce que si une selle va à un cheval, mais qu'on est mal dedans, on entravera malgré tout la locomotion du cheval.
Si la selle nous place les jambes trop en arrière, notre bassin sera placé en antéversion, notre centre de gravité décalé vers l'avant, et on plongera vers l'avant en venant surcharger l'avant-main.
Si le siège est trop creux, notre bassin sera bloqué et le centre de gravité pourra fonctionner de bas en haut, mais pas d'avant en arrière (ce qui n'est pas nécessairement gênant en dressage, mais qui est ennuyeux s'il faut sauter, puisque le centre de gravité recule à la phase d'atterrissage, donc grossièrement, on se prend un coup de troussequin dans le cul et on est envoyé vers l'avant, le cheval prend une surcharge sur les épaules, et manque de trébucher).
Si les quartiers sont trop courts, on aura les genoux qui déborderont, les cuisses bloquées par les taquets, et donc l'assise reculée vers le troussequin, donc le bassin pas d'équerre. On pèsera plus lourd sur l'arrière des panneaux que sur l'avant, et le cheval, réagissant à la douleur, creusera le dos, remontera l'encolure et se mettra à fuir vers l'avant.
Si le siège est trop grand, notre bassin se baladera, nos jambes feront essuie-glace, et garder un bon équilibre deviendra un chemin de croix. Le cheval le sentira forcément, dans le meilleur des cas il sera sympa et essaiera bon an mal an de débrouiller nos messages confus et de faire ce qu'il peut ; dans le pire des cas, vous allez lui casser les bonbons, et il vous enverra compter les grains de sable de la carrière.
Bref, je peux continuer longtemps comme ça, donc je vais aller à l'essentiel directement : une bonne selle, c'est celle qui vous rend l'équitation facile, celle qui vous rend bon cavalier. En fonction de la discipline, elle vous permettra de vous mettre facilement en équilibre pour enchaîner les obstacles, de passer des heures le cul dans la brouette à admirer le paysage sans avoir mal aux fesses, ou d'utiliser avec précision vos aides pour demander divers mouvements de haute-école. Elle vous placera directement bien, en équilibre, au-dessus de vos pieds. La jambe tombera naturellement, sans forcer. Le bassin n'aura aucun problème pour accompagner les allures du cheval. Tout ce que vous aurez à faire, c'est de tenir votre buste droit. Après, comme le disait Pauline, c'est pas parce que vous avez une selle qui vous place bien que vous serez direct l'égal d'Edward Gal (qui a VRAIMENT une assiette extraordinaire), mais au moins, vous serez sur les bons rails pour commencer.
A noter qu'une bonne selle pour X sera peut-être une mauvaise selle pour Y, c'est le jeu ma pauv'Lucette, on est comme les chevaux, pas foutus pareils, ce serait trop facile sinon. Il faut donc prendre en compte, dans le choix d'une selle et outre la discipline pour laquelle elle est prévue, la largeur du bassin (largeur du siège), la cambrure des lombaires (creux du siège), la longueur du fémur (longueur des quartiers), la longueur des tibias (place des couteaux d'étrivières), la mobilité des hanches (dimensions de l'enfourchure)... ouais, c'est compliqué, mais en pratique, une bonne selle ça se sent direct.
Je finirai mon topo sur un truc qui me fait un peu rire. En dressage, j'entends souvent des gens dire "j'ai progressé, il me faut une selle plus technique". Comprenez : plus orthopédique, avec des taquets plus gros et plus bloquants, un siège creux et emboitant. Alors oui certes, sur un cheval qui déménage, ça peut aider, d'avoir ce genre de selle. Cela dit, il me semble au contraire que plus on a une bonne assiette, moins on a besoin d'artifices sur une selle. Je pense même que plus on progresse, plus la selle devrait être simple, parce qu'avec une assiette fixe, même sur un siège plat et sans taquets, ben on reste en place et puis c'est tout.
Illustration en images grâce à Equimetric : même cheval, même selle, même sol, même allure ; 2 cavaliers de même poids mais de niveau différent.
Un cavalier à l'assiette pas fixe,
son centre de gravité qui bouge ça fait l'espèce de caca marron au milieu de l'image.
Un cavalier à l'assiette bien fixe, ça fait une toute petite crotte,
et bizarrement, les pressions de la selle sont bien meilleures!
Voilà, j'ai beaucoup réfléchi à tout ça, c'est une notion très compliquée et je pourrais écrire un livre dessus, j'ai essayé de synthétiser tout ce que j'avais à dire mais j'en ai forcément oublié.
Et maintenant, j'ai beaucoup travaillé, alors j'ai faim, et puis il fait beau, alors je vais aller voir mon Billy. Soyez sages!
(sinon, bon article, t'as bien mérité ton casse-dalle, va!)