Vous aurez tous reconnu la chanson "Summer nights" de Grease. Moi j'adore, j'aimerais bien avoir un mec à bombers et à peigne dans la poche arrière de son jean trop serré... mais le mien pionce au lieu de se mettre de la brillantine dans les cheveux, et moi je préfère écrire plutôt que de me mettre des bigoudis =)

Je traduis donc un article de Kit à la volée, qui s'appelle donc "Tell me more, tell me more", et qui me donne un aperçu de ce que ma vie va devenir le jour où je sauterai le pas et deviendrai saddle fitter for good (autrement dit, pas demain, mais peut-être après).

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Quelqu'un a un jour démarré une conversation sur un forum par "mon rêve de saddle fitting ce serait..." (ce qui m'a décidée à annoncer l'ouverture d'une formation en saddle fitting) . Au cours de cette conversation, quelqu'un a posé la question de "c'est comment, d'être saddle fitter?"

La question a l'air innocente au premier abord, donc j'ai commencé à y répondre... et puis non, j'ai réalisé qu'en fait il y avait beaucoup plus à dire sur le sujet que je l'ai cru initialement. Donc j'ai répondu vite fait, en disant que je développerai dans mon blog.

Dont acte.

La première des choses à savoir, quand on est saddle fitter, c'est qu'on ne se fera jamais beaucoup d'argent (sauf à faire partie des rares qui tirent très bien leur épingle du jeu). Personnellement, je ne connais pas de saddle fitter indépendant qui soit riche. Vous pourrez en vivre si vous avez un bon oeil, si vous êtes bons en relations humaines (j'y reviens) et que vous avez envie de vous tuer à la tâche, mais si vous voulez faire partie du club des milliardaires, le saddle fitting n'est pas le meilleur choix de carrière à embrasser. Pour vivre décemment, il vous faudra sélectionner une région très "cavalière", ou avoir envie d'être tout le temps sur les routes.

Cette histoire de relations humaines est essentielle. Vous devrez avoir obligatoirement :

- du tact. On ne dit pas à une cliente qu'un jour elle rentrera dans une selle en 16,5 à l'unique condition de faire Dukan, et vite (et de rester très longtemps à ne manger que des surimi et du jambon). On ne peut pas lui dire non plus que sa fière monture, son bébé, son bijou, cet athlète de haut niveau qui brillerait dans TOUTES les disciplines au plus haut niveau, vous rappelle plutôt l'un des AT-AT de L'Empire contre-attaque... même si c'est on ne peut plus vrai.

at-at

 

- de la diplomatie. Même si votre cliente vous raconte de façon très imagée comment sa selle actuelle entraîne la fusion de sa culotte et de son "abricot", et étaie avec force détails les problèmes intimes engendrés de la sorte, vous n'avez pas le droit de crier, de tourner les talons et prendre un visa pour l'Argentine, ou de fermer les yeux et vous boucher les oreilles en chantant "LALALA j'entends paaaas".

- de la patience. Certaines personnes ont besoin d'essayer la même selle 3 ou 4 fois, ou vous demander de répéter 50 fois la même chose. Les gens traitent les informations différemment, certains ont besoin d'entendre plusieurs fois la même chose pour bien comprendre. Il faut l'accepter, et s'en accommoder. [mon prof d'histoire de terminale, un homme haut en couleurs et absolument passionnant, disait que "la pédagogie est l'art de la répétition"].

- de la flexibilité. Si vous avec une dizaine de rendez-vous dans la journée, vous devrez avoir un emploi du temps bien établi, et vous y tenir le plus possible. Cependant, si votre RDV de 10h se pointe 5 minutes avant le RDV de 10h45 parce que son cheval ne voulait pas monter dans le van, ou si le mec de 11h revient à 17h avec "juste une dernière question" alors que vous n'avez qu'une envie, c'est de rentrer vous vautrer dans votre canap'... Vous dites à Miss 10h que vous la reverrez avec plaisir très bientôt, ou que si elle peut rester dans les parages, vous ferez votre possible pour lui consacrer le temps qu'il faut en fonction de vos autres RDV. Vous dites à Monsieur 11h que oui, mais que vous n'avez que quelques instants. C'est pas pour autant qu'il faut être une porte de prison, mais il faut savoir rester raisonnable aussi.

- d'un certain talent en communication. Certains commerciaux et fitters ne sont pas d'accord avec ça, mais je crois que l'une de mes principales responsabilités, c'est d'expliquer au client le plus clairement possible ce que je vois, ce que je fais et comment je le fais. Comme je l'ai dit à plusieurs reprises dans ce blog, le saddle fitting n'est pas une science exacte, ce n'est pas de la magie non plus. C'est pourquoi il faut éduquer le client le mieux possible.

Il faut évidemment avoir une bonne connaissance physiologique, psychologique et comportementale des chevaux. Il faut savoir juger d'une conformation, et savoir en quoi elle va impacter le travail de saddle fitting. Il faut savoir juger des aplombs, une locomotion, et relever toutes les irrégularités. Vous devez comprendre qu'un cheval sensible, qui a eu une expérience avec une selle mal adaptée, réagira probablement mal à n'importe quelle selle au premier abord, même adaptée. Vous devez savoir faire la part des choses entre un cheval qui est grincheux et a systématiquement les oreilles couchées, et un cheval qui couche les oreilles parce que s'apprête à partir en vrille.

Vous devez également choisir quels services offrir. Allez-vous faire du fitting uniquement (évaluer le cheval, prendre ses mesures, préconiser des solutions) ou allez-vous trimballer un stock de selles pour essayer et vendre si essai positif? Allez-vous travailler les panneaux? Proposer des réparations? Préférez-vous ouvrir un magasin avec des installations pour les essais, ou allez-vous vous déplacer chez les clients? Il faut que vous ayez une idée précise de ce que vous voulez faire, ou au moins, comment vous allez vous lancer. Vous pourrez toujours changer de plan par la suite, mais il faut quand même que vous sachiez où vous allez.
 
Vous devez vous former. [... en France, laisse tomber la neige, c'est impossible de faire du pur fitting en formation. Je ferai un petit panorama des différentes options qu'on peut avoir... plus tard] Il faut décider du temps et de l'argent que vous pouvez investir dans la formation, décider quelle formation sera la plus appropriée pour vous, en fonction de ce que vous prévoyez de faire. Aucune n'est facile, encore moins gratuite, donc vous devrez avoir une bonne dose de motivation et de détermination rien que pour y accéder. La formation doit être continue, même lorsque l'on est installé et que l'on travaille. De nouveaux concepts, de nouvelles tendances apparaissent régulièrement, il faut que vous restiez informé.
 
Voilà pour les bases du métier. Ce qu'on obtient en retour? Pour moi, le saddle fitting est un challenge, et j'en apprends tous les jours. Pile quand je pense avoir une bonne solution pour tel ou tel problème, je rencontre un cavalier ou un cheval qui remet tout en question. Vous risquez de vous voir poser un bon paquet de lapins, vous risquez aussi d'être mordu, tapé ou bousculé (a priori par les clients à 4 pattes, quoique leurs 2 pattes, parfois, on n'est pas trop sûr...). Vous passerez beaucoup de temps à cuire ou à geler dans des écuries ou des carrières. A chaque rendez-vous vous trouverez des entraineurs ou des parents qui en savent toujours forcément beaucoup plus que vous (le profil typique de l'expert autodidacte). Vous rencontrerez des gens qui ne vous écouteront pas, et qui vous rappelleront en larmes un an plus tard parce qu'ils auront flingué le dos de leur cheval avec une mauvaise selle. Des clients vous appelleront le week-end, pendant vos vacances ou à 10h30 le soir alors que vous êtes tranquille à regarder Glee ou Gossip Girl [toute ressemblance avec une situation réelle n'est que purement fortuite]. Vous travaillerez pendant des mois avec des clients pour vous rendre finalement compte que vous n'arrivez pas à trouver de solution pour eux. On tentera de vous faire une mauvaise réputation parce que vous n'avez soi-disant pas résolu une affaire de saddle fitting, mais vous, vous saurez très bien que les problèmes ne viennent pas de la selle, mais d'une histoire de sabots mal parés, d'ulcères non traités, d'une mauvaise constitution d'un cheval qu'on s'obstine à monter malgré tout... ou surtout, du cavalier.
 
Mais franchement, les + pèsent largement plus lourds que les -. J'ai un super réseau de fitters à la fois ici aux USA et à l'étranger, vers qui je peux me tourner pour avoir des avis, des idées, ou simplement partager une anecdote. La plupart de mes clients sont des propriétaires consciencieux, qui ne veulent que le meilleur pour leurs chevaux comme pour eux, et ceux-là, vraiment, je les adore. Alors même si je ne serai jamais Crésus, même si je n'ai pas de parachute doré qui m'attend, j'ai la satisfaction de savoir que je participe à améliorer la vie d'une poignée de chevaux et de cavaliers. Et ça me va très bien.
 
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J'ai adoré cet article, parce que :
1. il est profondément humain
2. il est drôle
3. il est pertinent
4. il m'aide à savoir ce que je vais devenir.