Mon but en faisant ce blog, c'est aussi d'interroger des professionnels du milieu de la sellerie, pour qu'ils m'en donnent leur conception, et qu'ils expliquent leur façon de travailler.
 
La première à m'avoir fourni de la matière, c'est Muriel Schnoering, de MS Sellerie, basée dans le 91 à Palaiseau.
 
 
Tous ceux qui me connaissent et qui ont échangé avec moi ont sûrement dû m'entendre parler de Muriel, parce qu'elle est l'une des rares en France à proposer des marques extrêmement intéressantes pour les chevaux pas évidents à seller : Thorowgood et ses variantes cuir Kent&Masters et Fairfax. Elle propose également les selles anglaises de marque Barnsby, très bonnes selles entièrement sur mesure à des tarifs qui défient toute concurrence française, des selles sans arçon, les Trekker et StarTrekk (il me tarde d'essayer ces selles), ainsi que toute une palanquée de matos intéressant, de type tapis Haf, trucs en mouton Christ, mors en cuir & co Meroth, etc. Bref, des produits qui sortent du sempiternel catalogue Ekkia qu'on trouve partout dans toutes les selleries, et qui en plus d'être souvent moches, sont chers (Equithème mon amour).
 
Bref, une initiative bien rare en France, que Muriel mène depuis quelques années de main de maître grâce à son expérience du commerce international et à sa grande connaissance de nos chers Pompon et Noisette...
 
Assez parlé, je lui laisse la parole.
 
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Pourquoi uniquement et toujours la selle ?
 
Avant la selle, il faut d'abord voir le cheval.
 
Quand j'arrive dans une écurie ou chez un particulier, je fais un peu l'Inspecteur Gadget car derrière un problème ou une recherche de selle il y a bien souvent autre chose ... qui ne va pas.
 
Je regarde autour de moi, et j'interroge : dans quelle conditions vivent les chevaux? comment sont-ils nourris ? travaillés ? Pourquoi les gens m'ont-ils appellée, moi? qu'est-ce qu'ils attendent de moi ? où en sont-ils réellement dans leur quête ? Au fur et mesure de la visite, je vais me rendre compte des lacunes équestres s'il y en a, des problèmes physiques de l'humain (bien souvent les gens n'osent pas vous avouer de prime abord qu'ils ont une semelle orthopédique dans une botte, que leur ostéo leur a dit qu'ils étaient de travers, qu'ils avaient une jambe plus longue que l'autre...) Il faut réellement comprendre et cerner le propriétaire du cheval ; c'est là une grande question de psychologie.
 
Allons voir la bête, comment se comporte-elle avec son propriétaire ?
Inspection générale à l'arrêt (dos sensible, chaleur anormale, asymétrie, raideur, musculature atrophiée) bref, autant que ce que je peux détecter, dans la mesure de mes connaissances. Puis j'observe le cheval en déplacement, soit en liberté, soit longé : boiterie s'il y a , bascule de l'épaule, engagement des postérieurs, incurvation ...
 
J'observe ensuite le matériel utilisé auparavant. Si je me rends compte d'une coïncidence entre une atrophie musculaire et la forme de la selle, je le signale. Attention, dire à une personne que la selle ne convient pas, c'est très délicat ! Le client qui a fait faire sur mesure une selle de prix et qui me fait venir pour lui trouver également une selle de club... ben, difficile pour moi de faire des remarques sur sa selle de sellier hein! gros dilemme parfois, lui dire ou pas, comment le dire... encore une fois question de psychologie.

Ensuite vient la question de l'équitation pratiquée : vous montez comment ? très assis ou en suspension ? sur les épaules du cheval ou très à la verticale ? avez-vous besoin de reculer la jambe, arrivez-vous à la reculer ? Ces questions m'aident à déterminer le choix du positionnement du couteau d'étrivière, entre autre. Il faut savoir que les selles que je vends ont des formes de matelassures différentes, des couteaux différents et bien sûr des arçons différents et des arcades interchangeables. Tout un programme, entre les besoins du cavalier et la conformation du cheval.

Une fois une première sélection de selles faite, en fonction de mes observations et des demandes du cavalier, je les essaie sur le cheval. Je vérifie les détails : équilibre de la selle grâce au niveau à eau, ouverture correcte, tombé de sangle au bon endroit (au besoin, je peux bouger les contre-sanglons de place), cohérence entre les lignes du dos du cheval et la forme de l'arçon ; les matelassures en laine c'est moi qui leur donne leur forme par la suite si jamais il y a besoin de retoucher.
 
La selle qui d'emblée se pose correctement, même s'il y a besoin d'une petite retouche ultérieure, je la fais essayer au cavalier. Une fois en selle, on voit plein de choses :
- la position du cavalier (sa position naturelle forcée par sa morphologie et la correction que peut apporter la selle)
- avec le poids du cavalier, la laine des panneaux se tasse déjà (garde au garrot pour les arçons Cob*, si c'est trop bas il faut prévoir un reflocage obligatoire du quart avant du panneau)
- la selle n'avance pas ni se lève exagérement à l'arrière.
Une bonne selle doit permettre au cavalier de progresser, de se sentir à l'aise pour pouvoir communiquer avec son cheval, pour exécuter les directives du prof...

Quand on n'a jamais vu le cheval évoluer sous la selle, pas facile de juger de ce que la nouvelle selle peut changer. Certaines choses sont rédhibitoires, comme les gênes dans les courbes par exemple, mais si on a bien vérifié avant l'adéquation de la selle au cheval, ça ne devrait pas arriver. En ligne droite, les pressions néfastes s'il y a sont uniquement décellables par un tapis électronique : encore faut-il que la selle soit mal équilibrée.

A ce stade de la visite, on a déjà vu pas mal de choses et pourtant on est loin d'avoir tout vu!
C'est l'utilisation régulière du matériel qui amènera des éléments de diagnostic supplémentaires. L'inspection régulière du cheval fournira également des réponses, des pistes pour continuer à adapter le matériel, ou le changer. Il ne faut pas croire, les surprises existent, il faut être prêt à toute éventualité. La sellerie n'est pas une science exacte! "We keep in touch" c'est le mot de la fin de chaque visite, dans ma tête je sais que je vais suivre le cheval et que le cavalier sait que je serai là quand il le faudra. Et c'est ce suivi qui est important, surtout... Je préconise à mes clients de faire le suivi de la selle au moins 2 fois par an (avant la saison de concours ou d'endurance par exemple).
 
Dans le cas d'une selle neuve, on a différentes possibilités d'ajustement :
1. ajustement immédiatement sur place, par exemple cheval ensellé qui a perdu de la ligne du dos ( à voir aussi les raisons, âge, mauvaise équitation, santé... )
2. selle qui dévie un peu d'un coté (déterminer qui du cheval ou du cavalier en est la cause) : reflocage au milieu pour équilibré le coté qui penche
3. ajustement selle cob
4. ajustement de la forme des panneaux ( à l'arrière )
5. équilibrage de la selle
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Les selles neuves arrivent d'Angleterre avec un flocage minimun, à moi de voir en fonction du cheval que j'ai s'il faut y rajouter de la laine ou pas et à quel endroit. Sur les selles à panneaux laine, le suivi est nécessaire. C'est un matériau qui évolue, qui migre, qui se tasse, il est très interessant à travailler mais seul le professionnel averti saura maîtriser son instabilité.
 
* "La garde au niveau du garrot", c'est l'espace entre le garrot et le pommeau.
Explication : il y a une trentaine d'année un trotteur ( prenons cet exemple ) avait une certaine forme de dos; disons fin du garrot et un dos pas très large. De nos jours, on observe bien souvent des trotteurs avec du garrot certes mais avec un dos très large, l'arc de cercle formé par le rayonnage des cotes est beaucoup plus important. Dans une selle "conventionnelle", basée sur les mesures d'il y a 30 ans, ce cheval va se sentir étriqué, gouttière trop serrée, panneau à l'arrière qui ne repose pas à plat; la selle va basculer, ne va pas s'emboiter.
Il faudra dans ce cas impérativement un arçon plus large (dit Cob chez les Anglais, ou arçon Loop) pour loger son dos. Or ce type d'arçon est très près du cheval : les bars sont quasiment plates et non inclinées. Les matelassures sont placées assez bas par rapport à l'arçon : il faudra donc dans la plus part des cas refloquer sérieusement le 1/4 avant du panneau pour dégager suffisamment le garrot.
 
À l'usage des saddler fitter uniquement, Kent & Masters a créé un modèle qui se nomme "Dutsch saddle" : c'est une selle Cob mais avec des panneaux situés plus haut dans l'arçon que la Cob normale, pour justement habiller les "costaud avec du garrot " .