Voilà une question qui revient souvent : j'ai un jeune cheval, comment l'habiller ?

Un cheval en croissance, c'est vilain, ça passe par tous les stades : garrot inexistant qui pousse d'un coup, dos creux qui se tend, dos étroit qui s'élargit, cul plus haut que le garrot puis garrot plus haut que le cul... Donc : le choix de la selle est un choix compliqué. Que faire? Comment faire?

Commençons par faire le point sur la croissance du jeune, grâce à l'article The Ranger Piece du Dr Deb Bennett. Un cheval est jeune jusqu'à 7, parfois 8 ans : c'est-à-dire que morphologiquement, il n'est pas "fini" avant cet âge-là. Plus il est grand, plus il mettra de temps à se terminer. Plus il est massif, idem. A noter aussi que comme chez les humains, les individus de sexe masculin sont plus tardifs que les individus de sexe féminin.

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Contrairement à une idée reçue, toutes les races de chevaux se développent à la même vitesse du point de vue du squelette. Aucun cheval sur la terre, de n’importe quelle race, à n’importe quelle époque n’a jamais atteint sa maturité osseuse avant l’âge de six ans (plus ou moins 6 mois).

A peu près tout le monde a entendu parler du cartilage de croissance, ce cartilage situé à l'extrêmité des os, et qui durcit avec l'âge? Hé bien, tant qu'ils ne sont pas tous durcis, l'animal quel qu'il soit n'est pas adulte. Chez le cheval, on a un calendrier qui part du sabot et se finit par le haut de la colonne vertébrale plus l'âge avance, ce qui donne à peu près ça :

Le premier cartilage à s’ossifier, à la naissance, est la troisième phalange (os du pied). Dans l’ordre croissant viennent ensuite :

• Deuxième phalange – haut et bas – entre la naissance et 6 mois.

• Première phalange – haut et bas – entre 6 mois et 1 ans.

• Canon – haut et bas – entre 8 mois et 1.5 ans.

• Petits os du genou –entre 1.5 an et 2.5 ans.

• Bas du radius-ulna –entre 2 ans et 2.5 ans.

• Portion porteuse du glenoïde en haut du radius entre 2.5 ans et 3 ans.

• Humérus – haut et bas – entre 3ans et 3.5 ans.

• Omoplate – portion porteuse (bas) – entre 3.5 ans et 4 ans

• Postérieurs – bas identique aux antérieurs ci-dessus.

• Jarret – cette articulation est « tardive » vu sa place assez « basse ». Les cartilages de croissance entre le tibia et le tarse ne fusionnent (s’ossifient) pas avant que le cheval n’ait quatre ans (raison pour laquelle les jarrets sont connus comme étant un « point faible » et est même documenté dans la littérature du 18ème siècle). La Guérinière conseillait d'attendre les 8 ans du cheval avant tout travail sérieux...

• Tibia – haut et bas, entre 3 ans et 3.5 ans

• Fémur – haut et bas, entre 3 ans et 3.5 ans

• Encolure – entre 2.5 ans et 3 ans

• Bassin – les cartilages de croissance des pointes de la hanche, dessus de la croupe et pointe de la fesse (tuber ischii) –entre 3 et 4 ans

La colonne vertébrale est la dernière à s'ossifier. Un cheval a normalement 32 vertèbres entre l’arrière de son crâne et la naissance de la queue, et il y a plusieurs cartilages de croissance sur chacune d’entre elles. Les vertèbres ne terminent pas leur ossification avant que le cheval ait atteint au moins 5 ans et demi (et ceci concerne un petit cheval massif, plus le cou du cheval est long, plus tard les fusions se produiront… et pour un mâle, vous ajoutez systématiquement six mois. Donc pour un cheval d’1m70 de type demi-sang, cette maturité peut n'être complète qu’à 8 ans). Les dernières vertèbres à fusionner complètement sont celles à la base de l’encolure (raison pour laquelle les chevaux ayant un cou plus long peuvent atteindre leur maturité après 6 ans – c’est la base qui grandit encore).

Donc vous devez être prudents – très prudents – de ne jamais forcer l’encolure d’un jeune cheval.

croissance

Est-ce que cela veut dire que vous devez attendre que tous ces cartilages de croissance se soient ossifiés avant de monter votre jeune cheval ? Non, mais plus vous attendez, le moins de risques vous prenez. [NDT : pour autant, il faut qu'un jeune cheval destiné à la selle soit entraîné suffisamment tôt, pour habituer son corps et ses muscles à l'effort qu'on lui demandera pendant sa vie au travail. Le tout est de faire les choses avec raison, de monter sur des séances courtes, et d'arrêter le cheval régulièrement - dès qu'on sent que ça lui coûte en fait.] Les propriétaires et professionnels doivent réaliser qu’il existe un « agenda » d’ossification défini et facile à retenir et ensuite prendre leur décision sur quand monter leur cheval sur la base de cette connaissance plutôt que sur base de l’apparence extérieure du cheval.

On remarquera aussi que l'année de leurs 5 ans, les chevaux font ce que l'on l'appelle la "crise d'adolescence" : le cheval devient alors désagréable et conteste l'autorité. Il est possible que cela ne soit que lié à la mise en place de son statut d'adulte dans sa tête, mais il est fréquent que cela vienne aussi (plutôt ?) de douleurs liées à la croissance : les chevaux font souvent une dernière et forte poussée de croissance au printemps de leurs 4 ans (ils n'ont, bien souvent, que 3,5 ans en fait), qui peut être fatigante et douloureuse. On peut aussi penser qu'un "ras-le-bol" s'installe quand ces chevaux ont été trop travaillés trop jeunes.

Du point de vue mental, on considèrera que le cheval n'est pleinement adulte que vers 7/ 8 ans. C'est entre 4 et 8 ans que le caractère du cheval "se fait". Cela ne veut pas dire que ce qui se passe avant est sans importance, certainement pas ! Il est simplement plus malléable.

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Je rajouterais une chose à ça : attention aux dents. La table dentaire est supposée se terminer vers 6 ans, avec la sortie des crochets (canines) chez les mâles. A 7 ans, mon cheval supposément entré dans l'âge de raison n'avait encore que 2 crochets sur 4...
Maintenant que ces bases sont établies, quid des selles? Voilà quelques questions qui reviennent souvent...
L'avis d'un saddle fitter est-il utile avant l'âge adulte, ou est-ce qu'on fait ce qu'on peut, comme on peut?
 
Réponse nette et sans appel : oui. Un saddle fitter (ou d'un conseiller en équipements, ou d'un ergonome équin, peu importe comment on l'appelle) va donner des clés au propriétaire pour comprendre comment est bâti son cheval à l'instant T, et l'aider à appréhender les différentes étapes de sa croissance. 

La jeunesse du cheval de selle accompli est un moment crucial. Le travail sous la selle du jeune détermine ce qu'il sera à l'âge adulte. Et si par une selle inadaptée on lui apprend qu'être monté, c'est pas cool, on compromet son avenir. Un peu comme un enfant qui passerait une sale scolarité dès la maternelle parce que bastonné par ses camarades, et qui dès lors entrerait en échec scolaire... ça veut pas dire qu'il est bête, inapte intellectuellement et socialement, ça veut juste dire que les conditions d'apprentissage auront été mauvaises, pas par l'apprentissage lui-même mais par l'environnement.
Une selle adaptée permettra au jeune cheval de trouver plus facilement la bonne posture pour apprendre à porter son cavalier et à se mouvoir avec lui sur le dos, avec bonne volonté. J'ai des dizaines d'anecdotes de terrain à raconter à ce sujet, notamment une jument qui à 7 ans était dangereusement rétive à la selle mais acceptait d'être montée à cru... Elle avait bien identifié la selle, et seulement la selle, comme source de ses malheurs! son problème était simplement sa morphologie hors normes qui lui interdisait toute selle standard...
Est-ce que je dois nécessairement commencer mon jeune cheval avec une selle synthétique à arcades interchangeables?
Pas nécessairement, non.
Une mixte synthétique présente beaucoup d'intérêt, parce qu'elle permet de faire un peu de tout et ne craint pas grand chose. Les arcades interchangeables sont éminemment pratiques, c'est certain.
Mais cela dépend de plusieurs facteurs : 
- la faculté du cheval à être sellé avec des selles standardisées - même si elles sont parfois morphotypales comme les Thorowgood ("cob" ou "haut garrrot"), les selles synthétiques répondent à UN critère de conception et ne correspondent pas toujours au cheval que l'on a en face de soi. Certains chevaux ne rentrent tout simplement pas dans le principe de conception de la selle, même si elles sont évolutives.
- le cavalier, pour x ou y raison. 
- l'évolution prévisible du cheval, par sa croissance stricto sensu mais aussi par le travail que l'on prévoit de mettre dessus. Certains chevaux vont changer drastiquement, d'autres finalement assez peu. Il faut garder en mémoire que la croissance est une chose, mais que l'influence humaine et équestre sur la morphologie est au moins aussi importante.
En réalité, plus on "vise juste" dans le choix de la selle et ce, dès le début du travail, plus ce sera facile de suivre la croissance du cheval avec sa selle. Cela implique bien sûr un travail régulier de suivi de l'adaptation par un professionnel compétent. 
De ce fait, la selle synthétique n'est pas un passage obligé. On peut partir assez facilement sur une selle haut de gamme, pourvu qu'elle soit bien choisie dès le début et susceptible d'être modifiée tant au niveau de l'arçon qu'à celui des matelassures pour s'adapter aux évolutions morphologiques du cheval. En complément, des pads de correction peuvent être utilisés pour rétablir l'équilibre lors de "passages critiques".
Est-ce que je suis obligé d'attendre que mon cheval ait terminé sa croissance pour lui faire faire une selle sur mesures?
Non, si la selle est évolutive, comme dit plus haut.
En revanche, si la selle n'est pas évolutive, alors on prend moins de risques en attendant, c'est sûr. M'enfin, ça dépend de ce qu'on entend par "selle sur mesures". N'oubliez pas que tant que le sellier n'a pas pris de mesures sur votre cheval avec des instruments et n'a pas utilisé ces mesures pour fabriquer la selle, vous n'avez pas une selle sur mesures... Non le choix d'un liseré vernis n'est pas un gage de "sur mesure"! 
Mais dans la suite de sa vie, le cheval sera amené à changer également : blessure et convalescence, musculature changeante en fonction de l'activité saisonnière, changement de discipline donc adaptation de la morphologie, changement de cavalier ou de méthode de travail, nouveau mode de vie, déferrage ou referrage, poulinage, vieillissement... autant de facteurs susceptibles de modifier l'apparence du cheval et donc, l'adaptation de sa selle. 
Dire que lorsque le cheval est adulte du point de vue de sa croissance, il ne changera plus, c'est aussi erronné que de dire qu'un humain, passé la vingtaine d'années, ne changera plus. Il ne grandira plus certes, et ira même jusqu'à se tasser, mais son corps changera au gré des événements de sa vie... et les fringues portées à 20 ans, entrée dans l'âge adulte physique, ne lui iront plus à 30, 40, 50... ans.
En conclusion : le suivi de l'ergonomie doit être un souci constant, quel que soit l'âge du cheval. Il est à mon sens encore plus important chez le jeune cheval que n'importe quel autre, au titre de la prévention des risques futurs.