barbie_cheval_trotteur

[edit mars 2016]

C'est bien gentil de causer saddle fitting par ci, saddle fitting par là... le saddle fitting, ce n'est pas compliqué : c'est l'action d'adapter une selle à un couple cheval / cavalier. C'est de l'ergonomie, point.
Y a pas de "moi j'y crois pas", l'ergonomie c'est pas une croyance, c'est un fait. Le matériel doit être adapté, personne ne veut sciemment d'un matériel inadapté, ou alors il est complètement con (ce qui est un droit inaliénable validé par la Déclaration des Droits de l'Homme, soit).


La notion de "saddle fitter", en revanche, n'est évidente pour personne, et à commencer par moi. Après quelques années de pratiques, plus j'avance et moins je suis sûre de ce que j'avance.

Kitt, du blog Saddle Fitting - the inside journey, m'a donné une réponse intéressante pour baser la réflexion. Let her speak now.

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Selliers VS Fitters, Fitters VS Commerciaux (questions de sémantique)

 

 

J'ai toujours été fascinée par les mots, et par le  fait qu'ils puissent avoir autant de sens différents. Quand je dis "boot" [botte], je pense la plupart du temps à quelque chose que je mets aux pieds, ou sur les jambes de mon cheval [en anglais, "boot" ça veut aussi dire "guêtre"]. Au Royaume Uni, "boot" c'est le coffre d'une voiture. Quand on dit "trainers" aux USA, on parle souvent de nos instructeurs d'équitation. Au Royaume Uni, des "trainers", ce sont des chaussures de sport. Et (mon préféré), quand on parle de "Curlies", on se réfère aux Bashkir Curlies, une race de chevaux ; au Royaume Uni, "curlies" c'est le mot d'argot pour "poil pubien"... donc vous imaginez le tumulte à la Sellerie Black Country quand on leur a envoyé des mesures pour le Curly d'une femme qui voulait leur commander une selle...

Bref, un autre mot (ou expression) aux sens différents ici et de l'autre côté de la mare c'est "saddle fitter". Au Royaume Uni, un saddle fitter c'est quelqu'un qui vous aide à trouver une selle qui vous va, à vous comme à votre cheval. Un sellier (ou maître sellier) c'est celui qui modifie le rembourrage [la laine des panneaux], change les contre-sanglons, et ce genre de choses pour ajuster ou réparer votre selle.

Aux USA, "saddle fitter" a un sens plus large. En plus de trouver la bonne selle pour le cheval et son cavalier, on fait souvent des réparations, des ajustements de rembourrage, améliorer les selles... bref, un peu de tout. Cette situation est principalement due au manque de formation standardisée, ici aux USA ; au Royaume-Uni, le business de la sellerie est bien plus ancien, vaste et structuré. Ils ont des maîtres selliers, des membres commerçants affiliés, des saddle fitters qualifiés et bien d'autres - vous pouvez vous renseigner plus avant sur ce sujet dans les différentes "Categories of membership" sur
http://www.mastersaddlers.co.uk/.

J'ai toujours eu des sentiments mitigés à propos des saddle fitters (quelque soit la définition que vous choisissez) qui sont commerciaux pour une sellerie. En tant que saddle fitter, je pense qu'il est de ma responsabilité de trouver LA bonne selle pour vous et votre cheval, quelle que soit la sellerie qui l'aura faite. Il est vrai que j'ai le luxe de travailler pour un magasin qui a un stock conséquent de selles neuves ou d'occasion ; nous disposons de selles neuves d'une douzaines de selleries différentes - souvent plusieurs modèles de chaque marque - et un important stock de selles d'occasion. Cela me donne la possibilité de trouver la bonne selle pour chaque cheval et cavalier sans trop avoir à me soucier d'atteindre mes objectifs de vente ou de toucher (ou de perdre!) une commission. Ma situation est assez rare.

Pour un fitter qui est aussi commercial, ça peut être une histoire très différente. D'un côté, je connais d'excellents fitters qui sont aussi commerciaux, mais qui travaillent à l'ajustement de n'importe quelle selle et qui sont parfaitement honnêtes dans leurs estimations de selles et d'ajustement (je dois dire qu'ils sont une majorité). Mais la nature humaine étant ce qu'elle est (de même pour la réalité économique et les commissions), certains fitters essaieront de vous vendre plutôt l'une de leurs selles, que vous en ayiez besoin ou pas. Le principal problème dans cette situation (sans même se préoccuper d'éthique) c'est qu'il n'y a pas UNE sellerie, peu importe le nombre de modèles qu'ils fabriquent, qui produise LA selle parfaite pour chaque cavalier et chaque cheval. Même les meilleurs d'entre elles, qui offrent de nombreux modèles avec un milliard d'options pour le cheval comme pour le cavalier, ne peuvent satisfaire tout le monde. Avoir le choix (pour vous comme pour le fitter) vous donne une gamme d'options plus large et augmente ainsi les possibilités que vous trouviez la bonne selle.

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Kitt résume en une phrase toute la complexité du métier dans la conclusion de son avant-dernier paragraphe : "ma situation est assez rare". Elle travaille pour une sellerie multi-marques. Ou du moins, elle travaillait. Aujourd'hui, quelques années après avoir écrit ces mots, elle est indépendante, et à ma connaissance, ne vend plus qu'une ou deux marques, et se retrouve elle-même confrontée à son "sentiment mitigé".

J'ai en grande partie configuré en France, grâce et à cause de mon blog, ce que les Français attendent aujourd'hui d'un saddle fitter. Ils attendent des personnal shoppers, experts de haut vol, qui savent tout sur tout et qui connaissent tout de toutes les selles existants sur le marché aujourd'hui. Désolée, je vous ai trompés. Personne ne peut faire ça. Aucun garagiste n'est capable de réparer toutes les voitures du marché après seulement quelques années de pratiques et sans formation spécifique au produit auprès des fabricants eux-mêmes. Ou alors, s'il existe, il se paie extrêmement cher et le commun des mortels n'y a pas accès.

Ce qui nous amène à la question fondamentale : qui vous fournit votre selle? En gros, il y a deux canaux : 

- soit vous achetez votre selle en direct auprès du fabricant, via le sellier lui-même ou son commercial salarié et commissionné
- soit vous achetez votre selle à un revendeur, qui agit comme intermédiaire entre le fabricant, (éventuellement le grossiste) et vous-mêmes, et qui est rémunéré sur marge commerciale.

Quel que soit le canal de distribution, la base est là : vous achetez un objet technique, pas un sac à main. Comme vous n'avez pas de formation et que vous ne comprenez pas ce que le professionnel est en train de faire, vous faites confiance. Vous ne savez pas à quel service vous avez droit, vous ne connaissez pas la réelle compétence de la personne en face de vous au niveau technique, sinon ce que la publicité veut bien vous en dire. Vous avez tort et raison à la fois.
Si vous n'y connaissez rien à votre voiture, le garagiste pourra vous enfumer comme il veut, vous ne verrez rien. 

Quand les problèmes arrivent, vous avez deux solutions : 

- vous faites appel au sellier / commercial / saddle fitter, qui s'il est correct et dans la limite de ses compétences et des paramétrages de son produit, réparera le tort et vous donnera satisfaction. S'il est correct toujours et qu'il ne peut pas vous donner satisfaction techniquement, il vous proposera une autre solution ou, dans la limite des règles du commerce, vous compensera. Y a des assurances professionnelles pour ça. Mais il y a aussi et surtout votre responsabilité de propriétaire / cavalier, et la faute est souvent partagée entre le pro et vous-même.
- vous montez sur vos grands chevaux et partez de l'idée que vous vous êtes fait enfler. Vous faites appel à un saddle fitter indépendant pour faire une contre-expertise. Sauf que si le saddle fitter se plante par méconnaissance du produit, il sert à rien, voire il aggrave les choses (seen that, been that, done that).
La seule chose qui dans ce genre de cas peut sauver la donne, c'est l'utilisation d'outils informatiques comme le scanner Horseshape et le tapis à capteurs de pression, par exemple. Ca, ce sont des outils d'expertise réelle. Donc c'est une expertise au moyen d'outils coûteux : les grands chevaux vous coûtent cher (euphémisme).

Donc le saddle fitter, c'est qui et il sert à quoi dans tout ça? Une grande marque de sellerie française qui ne nous aime pas beaucoup nous qualifiait l'an passé de "para-sellier", et honnêtement, c'est pas complètement faux. Le saddle fitter est là pour apporter du service et de l'expertise là où il devrait y en avoir, et où il n'y en a pas. Il comble un vide. Si les professionnels déjà en place font leur boulot consciencieusement, de la prise de mesures initiales jusqu'au suivi après-vente, il n'y a pas besoin de saddle fitters. Le saddle fitter a des connaissances basiques sur l'ergonomie, la biomécanique et l'équitation, et par l'expérience, s'arroge des connaissances techniques qu'il n'a pas initialement car non formé aux spécificités des différents produits, tout ça pour récupérer des problèmes de clientèle qui ne sont pas les siens. Boulot de con, un peu, parfois.

Par l'entretien d'un consumérisme débridé et d'un libéralisme provocateur, beaucoup de selliers qui ont dépassé le cap du simple artisan se sont tiré une balle dans le pied. Parce que les cavaliers n'ont pas l'exigence de l'ergonomie, ils vendent des selles comme des sacs à main : la sellerie est devenue de la maroquinerie de luxe. Les compétences en fitting se sont perdues, ou sont occultées volontairement dans d'autres cas (promis, j'ai vu). La maroquinerie, c'est de l'argent qui rentre facilement et sans les emmerdes. Dieu merci, certains artisans n'ont pas perdu ça, je pense à certains d'entre eux qui sont absolument remarquables et avec qui j'ai grand plaisir à travailler. 
Parallèlement, on ne peut bien travailler, dans une idée de saddle fitting, qu'avec un matériel que l'on connaît, que l'on maîtrise et sur lequel on est formé. Dans certains milieux, c'est quasiment devenu une insulte pour une personne se revendiquant d'une telle démarche que d'être qualifié de "commercial" (c'est dire si le niveau est faible). Alors que je connais de très bons commerciaux de certaines marques, salariés donc dépendants, qui font leur travail en conscience et avec beaucoup de compétences. Ils maîtrisent parfaitement leurs produits et sont capables d'adapter précisément leurs selles, ou de reconnaître leurs limites.

Un peu comme si un maréchal-ferrant était taxé de commercial de X ou de Y, quand il ferre votre cheval avec les fers X ou Y. Pour lui, les fers sont ses outils : il a des affinités avec certaines conceptions qui correspondent à son travail, et qui peuvent fonctionner - ou non - sur votre cheval. Et pourtant, aujourd'hui le maréchal-ferrant est taxé de poseur de fers dégénéré, par opposition aux grands gourous du parage naturel qui n'ont besoin de rien pour que votre cheval vole de ses pieds déférés sur les cailloux que d'une râpe et d'une rénette. Et de vous vendre ensuite que c'est normal que votre cheval ait mal aux pieds, et une paire d'hipposandales qui coûte 3 ferrures pour faire passer la pilule. Je n'ai rien contre les maréchaux. Je n'ai rien contre les pareurs. Dans les deux cas il y a de bons et de mauvais professionnels. Dans les deux cas il y a des chevaux à qui ça convient ou pas. Et pourtant, les deux professions se tirent dessus à boulets rouges. En général, ce sont les mauvais d'un camp qui sont jaloux des bons de l'autre camp. Les bons d'un camp sont souvent respectueux du travail des bons de l'autre camp : ils savent qu'il y a de la place pour tout le monde, à partir du moment où la compétence est là, et surtout où les limites de les compétences sont connues et admises. Si tel était le cas, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Pareil en sellerie. Les selliers doivent avoir l'idée de l'ergonomie en tête quand ils conçoivent la selle, en se basant sur des mesures physiques ; et posséder, dans leur gamme de produits, soit de nombreuses solutions adaptées à de nombreux cas ; soit se spécialiser dans un style de cavaliers / chevaux / discipline. Le bon sellier / représentant maniera ces différents paramètres avec expérience et compétence, et décidera pour le client s'il peut lui fournir une solution ou pas dans sa gamme. Le mauvais vendeur paiera des coups à boire à son client jusqu'à ce qu'il soit assez soûl pour signer le bon de commande (ou, comme c'est à la mode actuellement, sera de sexe masculin et suffisamment sexy pour faire mouiller les midinettes qui achèteront des selles sans réfléchir...). 
Les saddle fitters, eux, doivent connaître les conceptions de base des marques avec lesquelles ils travaillent. Sinon les bidouillages peuvent se révéler dramatiques, même si d'apparence ça respecte l'ergonomie de base du cheval. 

Perso, j'ai réduit ma gamme à deux ou trois marques, pour couvrir tous les budgets ; mais par secteur de prix je n'ai qu'une seule marque. Je préfère être une bonne spécialiste qu'une mauvaise généraliste

Passez outre votre amour de l'alcool et vos hormones, passez outre la mode et les tendances. Une selle n'est qu'un outil. Elle n'est pas foncièrement bonne ou mauvaise*. Elle convient ou ne convient pas. C'est la déontologie et la compétence de la personne qui l'adapte et qui la suit qui en détermine la valeur technique par rapport à votre couple. Un sellier doit être saddle fitter. Un commercial doit être saddle fitter. Donc dans le monde des Bisounours, les saddle fitters n'existent pas.

* si, certaines m*rdes ultra low-cost sont à bannir irrémédiablement